Valéry Rosier • Réalisateur de Rano
“L’eau représente la part de féminin des personnages, une part qu’ils vont devoir apprendre à accueillir au fil du récit”
par Aurore Engelen
- Le cinéaste belge parle de son nouveau film, co-réalisé avec Farellia Tahina Venance, qui met en lumière deux personnages en deuil à travers un double portrait sensoriel et aquatique

Après avoir remporté le Prix du Public en 2018 au BRIFF pour La Grand-Messe [+lire aussi :
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Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Valéry Rosier : A l’origine, il y a de longues discussions avec une amie d’enfance, Farellia Tahina Venance, avec qui je co-signe le film, qui vient de Madagascar, avec qui nous parlons énormément de spiritualité, d’invisible. Un jour, elle me parle des sirènes, du fait que sur l’île, la plupart des gens croient à ces esprits de l’eau. Ça m’a intrigué, je ne sais pas pourquoi, et j’ai décidé d’aller voir sur place. Le film est parti d’une enquête documentaire en réalité. A partir de là, j’ai imaginé deux personnages, Macha, qui vient d’Europe et Franco, né sur l’île, ils sont tous les deux dans une forme de déni face au deuil. Ils vont trouver dans ce rapport spirituel à l’eau un moyen d’entamer un processus de résilience, et de grandir un peu.
Est-ce que Macha représente une rationalité occidentale face aux esprits ?
Oui, en Occident, on a rejeté ce rapport sacré à l’invisible, et Macha est plutôt rétive au début. Elle part de loin, mais elle va s’ouvrir peu à peu dans sa quête d’oubli. Ce sont deux personnages qui refusent d’accepter l’absence, mais ce faisant, c’est comme s’ils niaient l’existence de ce qui a été. Ils fuient le trauma, en somme, et celui-ci leur revient en pleine face.
Que représente l’eau, dans ce contexte ?
L’eau est omniprésente dans le film, je pense qu’on la retrouve dans au moins 80% des plans. D’abord parce qu’on est sur une île, et puis c’était lié aux sirènes. Rano, ça veut dire l’eau en malgache. C’est presque un troisième personnage dans le film, aux côtés de Macha et Franco. L’eau est une puissance consolatrice. Pour moi, l’eau représente aussi la part de féminin des deux personnages, une part qu’ils vont devoir apprendre à accueillir au fil du récit. Sonder les profondeurs de l’eau, c’est en quelque sorte sonder les profondeurs de leur âme, un voyage intérieur aussi. Elle est aussi un portail vers une forme de spiritualité pour les personnages.
Comment s’est passé le tournage ?
Nous tournions en petite équipe, mixte, avec des gens qui venaient de Belgique, d’autres de Madagascar, certains expérimentés, certains moins. Il nous est arrivé pas mal de surprises, d’imprévus, qui nous ont fait dévier du scénario. Au début j’ai un peu résisté, mais j’ai vite fini par accepter de nous laisser entrainer par le courant. Je pense par exemple au bruit que font des insectes bien particulier sur l’ile, tous les jours, du lever au coucher du soleil. Quelque chose que nous n’avions pas anticipé. Les ingénieurs du son ont dû s’adapter, et finalement, au montage, on a utilisé leur bruit stridulent pour créer de la tension. Le film ne ressemble plus à ce qui avait été écrit au départ, il est le résultat de ce travail d’acceptation, et d’accompagnement du courant.
Comment avez-vous pensé votre casting ?
Dans le rôle de Macha, on retrouve Mara Taquin ; je suis très admiratif de son travail, et c’est une personnalité formidable. Elle a accepté le film alors même qu’il n’y avait pas vraiment de scénario fixe, qu’elle savait qu’il y aurait des plans sous l’eau, avec des bêtes sous-marines… Elle s’est beaucoup investie dans le rôle, on a énormément discuté de son personnage et du film pendant le tournage. Comme elle était la seule comédienne professionnelle, elle a assuré une forme de mise en scène auprès des autres comédiens, qu’elle a conseillés, accompagnés, encouragés. C’était d’autant plus précieux que ce n’est pas toujours facile de trouver le juste ton quand on joue avec des non-professionnels. On a fait le casting sur l’île, et on a dû faire face à pas mal de contretemps, des désistements de dernière minute notamment, mais aussi des rencontres incroyables, qui ont bouleversé le scénario. C’est le cas par exemple de l’équipe du Madagascar Whale Shark Project, qui est dirigée par une jeune femme belge incroyable, et qu’on a intégré de façon substantielle dans l’histoire alors que rien de tel n’était écrit au départ.
Qu’est-ce qui vous tenait le plus à cœur avec ce projet ?
Rano ne ressemble pas vraiment aux films que j’ai pu faire auparavant, qu’il s’agisse des fictions ou des documentaires. J’avais envie d’un film plus sensoriel, plus lent aussi, exactement ce que me permettait l’eau. C’était un défi très excitant à relever, et je suis très content d’avoir pu le tenter.
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