Jean-Pascal Zadi • Réalisateur de Le Grand Déplacement
"Je voulais faire de la science-fiction mais avec un nouveau point de vue, africain et écologique"
par Aurore Engelen
- L’acteur et réalisateur nous parle de sa comédie d’aventure qui imagine que la tête de la course à la conquête spatiale est prise par un équipage formé et financé en Afrique

A l’été 2020, Tout simplement noir [+lire aussi :
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fiche film], avait surpris le public par sa drôlerie et son irrévérence, et les professionnels par sa capacité à mobiliser les foules dans les salles à la sortie du premier confinement. Une déflagration, qui valut à son auteur Jean-Pascal Zadi un capital sympathie énorme auprès du public, et un César du Meilleur espoir masculin en prime. On l’a vu depuis chez Quentin Dupieux, Michel Hazanavicius ou Gilles Lellouche, et après avoir créé la série En place pour Netflix, il revient là où on ne l’attendait pas forcément avec Le Grand Déplacement [+lire aussi :
interview : Jean-Pascal Zadi
fiche film], comédie d’aventure qui imagine que la tête de la course à la conquête spatiale est prise par un équipage formé et financé en Afrique. Le film a été projeté au Brussels International Film Festival (BRIFF) à la veille de sa sortie française et belge ce 25 juin, avec Gaumont et Athena Films respectivement.
Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Jean-Pascal Zadi : Une fois, alors que je n’arrivais pas à dormir, je suis tombé sur Youtube sur une vidéo avec un astronaute qui disait : "Aller sur une autre planète, un jour ou l’autre, l’humanité y arrivera, les moyens techniques vont suivre, mais la vraie inconnue, c’est le facteur humain." J’ai trouvé ça fou que cet exploit monumental, son seul problème soit : est-ce que les astronautes vont réussir à s’entendre ? Trop de profit, d’intérêts… La planète court à sa perte, mais on se chamaille. D’un côté, c’est hyper compliqué de faire en sorte que tout le monde s’entende, et en même temps, c’est hyper simple, il suffit de s’écouter. Toute la complexité de l’humanité me semblait résumée dans cette phrase.
Vous avez alors imaginé l’équipage qui pourrait aller dans l’espace…
Comme je voulais un nouveau point de vue, je me suis dit que j’allais imaginer un équipage africain, d’autant que je savais que là, je pouvais aller dans des zones qui me passionnent. Etre africain, ça suffit pas pour qu’on s’entende. Pour ça, il faut respecter la spécificité de chaque être humain, pas mettre tout le monde dans le même panier. Quand je fais un film, je ne cherche pas à donner de réponses, mais j’aime bien ouvrir plein de pistes de réflexion.
On vous attendait sur le terrain comique, et vous proposez un film d’aventure. C’était important, politique même qu’il ait un souffle épique ?
Le Grand Déplacement, c’est vraiment le film que j’aurais voulu voir à 14 ans. Des Africains héros d’un film de conquête spatiale ? Du coup, j’avais en tête un public jeune, et je sais qu’une comédie n’aurait pas suffi à lui parler. Il y a de la comédie, parce que c’est mon langage, mais ce n’est pas le seul registre que je veux explorer. La comédie est un bon médium pour faire passer des messages, mais un film d’espace où il n’y aurait eu que des blagues, ça me saoulait d’avance. J’avais besoin qu’il y ait de l’aventure, qu’on ait peur pour eux, que ce ne soit pas facile d’y arriver. Pour moi, le cinéma, ça devrait être ça, regarder des histoires qu’on n’aurait pas imaginées, avec des héros qu’on n’aurait pas imaginés, et des mondes qu’on n’aurait pas imaginés.
On peut parler de la création de ce monde justement, des décors notamment ?
Ce qui était passionnant, c’était qu’il y avait tout un univers à créer, on n’avait pas de modèle en termes d’aventure spatiale africaine. Je voulais m’éloignais des références classiques occidentales, Star Wars, Alien, Interstellar [+lire aussi :
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fiche film], qui ont infiltré nos inconscients. Les premières maquettes y faisaient d’ailleurs beaucoup penser. Il y avait des couleurs que je voulais mettre en avant, le marron, le bordeaux, l’orange. Et c’était même très dur d’essayer de s’affranchir des références, ou en tous cas de s’en éloigner. On s’est inspiré par exemple de la culture Dogon, on a découvert récemment qu’ils avaient une connaissance poussée de l’espace, des observatoires… D’habitude, je déteste la préparation, mais là, c’était hyper excitant. Et puis il y avait toute cette architecture brutaliste qu’on trouve notamment dans les capitales francophones africaines, comme Abidjan, qui était très inspirante. J’avais envie d’y rendre hommage.
Qui est votre héros, Pierre Blé, le pilote intrépide qui met les pieds dans le plat constamment ?
C’est un peu le personnage que je trimballe un peu partout. Ce que j’aime en comédie, c’est cette figure du personnage qui n’est pas méchant, mais qui ne dit pas les bonnes choses au bon moment, ni de la bonne manière. C’est un gentil, mais sa franchise passe au-dessus de la morale. Je me demande si c’est pas ça que j’aime en fait (rires). Dire ce qu’il ne faut pas dire, et surtout, les réactions des autres. Les silences.
C’est aussi triturer les clichés de façon grinçante, aussi.
Forcément moi je pratique un humour grinçant. Je teste les limites, j’essaie d’aller dans des endroits où on n’a pas trop été, l’excision, la colonisation, la parentalité antillaise. Ca ne marche forcément que si on teste partout, tout le monde, si on va tout le temps dans le même sens, on devient BFM ou CNews, et c’est pas mon but.
Qu’est-ce qui vous tenait le plus à cœur ?
Le but ultime, c’était ouvrir les imaginaires. Que les gosses et les ados noirs ou africains ou différents puissent se dire : mais pourquoi les Africains n’iraient pas dans l’espace, finalement ? Qu’ils se disent que c’est possible, que ça puisse faire tomber des barrières. Pour moi, ce qui réside au coeur du film, c’est l’envie de créer de nouveaux héros, de développer de nouveaux imaginaires. Faire de la science-fiction, un space movie avec un nouveau point de vue, africain et écologique.
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