Lucas Belvaux • Réalisateur de Les Tourmentés
"Le genre permet de faire passer des idées en contrebande, de raconter la société sans en avoir l’air"
par Aurore Engelen
- Le cinéaste belge nous parle de son dernier film, l’histoire d’une inquiétante chasse à l’homme qui s’aventure dans des réflexions métaphysiques sur la vie

Lucas Belvaux a présenté en première mondiale au Brussels International Film Festival (BRIFF) son dernier film, Les Tourmentés [+lire aussi :
critique
interview : Lucas Belvaux
fiche film], adapté de son propre roman éponyme. Le film raconte l’histoire d’une inquiétante chasse à l’homme qui vire au récit initiatique, commence comme un film noir pour s’aventurer dans des réflexions métaphysiques sur le coût (et le goût) de la vie, et qui soulève des questionnements déjà abordés par le cinéaste sur la gestion du stress post-traumatique.
Cineuropa : Comment présenteriez-vous le film en quelques mots ?
Lucas Belvaux : C’est un film d’apprentissage, mais à l’envers. D’habitude on suit de jeunes gens qui perdent leurs illusions. Ici, on a des adultes qui vont découvrir que la vie n’est pas forcément aussi noire qu’ils l’ont cru jusque-là. Ils traversent une sorte d’épiphanie, et se remettent à vivre, eux qui ont été morts avant d’être à nouveau vivants.
Qui sont vos tourmentés, et quels sont leurs tourments ?
Il y a Madame, une femme richissime au passé douloureux, passionnée de chasse. Terrassée par l’ennui, elle se dit qu’il lui reste encore un gibier à chasser : un homme. Max, son majordome, ancien légionnaire, va reprendre contact avec l’un de ses anciens co-équipiers, Skender, aujourd’hui devenu clochard, mais dont il sait qu’il pourrait être le meilleur des gibiers, le plus dangereux, le plus résistant, d’autant que séparé de sa femme et de ses enfants, il pense n’avoir plus rien à perdre. Les trois vont passer un contrat, autour d’une chasse à l’homme.
Cette chasse à l’homme devient vite un prétexte, pour se concentrer sur une quête plus intérieure.
Tous ont perdu le goût de la vie, abattus par des traumatismes dont ils ne parviennent pas à se relever, et vont être amenés à évaluer très littéralement le coût de la vie. Ils sont comme éteints, des sortes de zombies. Ils sont prêts à mourir, et dans le cas de Madame et Skender, ils ont même une échéance possible. C’est cette date butoir, peut-être, qui va provoquer un électrochoc.
Face à ce trio, il y a un quatrième personnage qui presque malgré elle les ramène du côté de la vie.
Manon, l’ex-femme de Skender, la mère de ces enfants, lui ouvre une porte vers d’autres possibles, un passage de l’obscurité à la lumière. Elle a deux enfants, elle ne peut pas se permettre de se laisser aller à la tristesse, donc elle se bat tous les jours.
Comment avez-vous pensé votre casting ?
J’avais très envie de travailler avec Linh-Dan Pham, que l’on a découverte dans Indochine, c’est une actrice très singulière, assez rare, dont j’aime le mystère, et puis elle a une certaine forme de versatilité, elle peut passer très vite d’une forme de légèreté à une profonde introspection, j’avais besoin de ça pour que Madame soit à la fois dominatrice et bienveillante. Pour Max, un personnage très opaque, j’ai tout de suite aimé la capacité de Ramzy Bedia à incarner le tragique, je trouve qu’il porte ça en lui, un personnage qui assume son destin, une sorte de bloc, minéral et expressif à la fois. Niels Schneider, je voulais un comédien affuté comme une lame à double tranchant, qui amène une vraie tension, alors que dès qu’il est avec ses enfants, il est extrêmement doux. Déborah François enfin a pour moi ce qu’ont souvent les acteurs et actrices belges, une façon d’être dans le matériel, le jeu pur, sans sur-intellectualiser les choses, dans une sincérité absolue.
Le film est adapté de votre propre roman, comment se sont passées les choses ?
A l’origine, quand j’ai écrit Les Tourmentés, j’avais envie d’une écriture libérée des contraintes de mise-en-scène. Quand on écrit un scénario, si c’est un récit historique, si c’est une histoire de guerre, ou s’il y a une multitude de personnages, ça coûte singulièrement plus cher. Dans un roman, on peut tout se permettre. Et puis finalement, j’ai écrit un roman qui se passe aujourd’hui avec trois personnages dans peu de décors, et je me suis dit que ça pourrait faire un bon film, et qu’il n’y avait pas de raison que quelqu’un d’autre le fasse !
Les Tourmentés commence comme un film noir, pour s’émanciper de cette forme. Pouvez-vous nous parler de votre rapport au genre ?
L’idée d’origine, c’était de faire un film de chasse à l’homme, qui est presque un genre en soi. L’intérêt du genre pour moi, c’est qu'il donne un cadre que l’on peut allègrement trahir, on peut le tordre, en casser les règles. N’empêche que le genre permet de faire passer des idées "en contrebande", en quelque sorte, de raconter la société sans en avoir l’air.
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