Olivier Meys • Réalisateur de L’été de Jahia
"L’idée n’était pas de faire un film de propagande, mais vraiment d’incarner la question de la demande d’asile"
par Aurore Engelen
- Le réalisateur belge nous parle de son portrait sensible d’une jeune demandeuse d’asile qui vit dans l’attente, et voit son destin changé par la grâce d’une amitié

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Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a poussé à situer votre récit dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile ?
Olivier Meys : J’ai longtemps vécu en Chine, assez éloigné des problématiques que l’on connaît en Belgique, et notamment de la crise migratoire qui a explosé suite à la guerre en Syrie. Quand je suis rentré en Europe, cette thématique s’est imposée à moi, et je me suis demandé en particulier comment les adolescents pouvaient vivre cette situation d’attente, cette incertitude quant à leur futur. Je viens du documentaire, ce fut donc une évidence pour moi de visiter des centres de demandeurs d’asile, pour essayer de comprendre. J’y ai rencontré des jeunes gens, mais aussi des travailleurs, et quand j’ai découvert l’existence de ce qu’on appelle le syndrome de résignation, c’est-à-dire ces enfants ou adolescents qui tombent dans un sommeil proche d’un coma dont ils ne se réveillent pas, ça a conforté ma conviction que je voulais raconter ces histoires, d’une façon ou d’une autre.
Qui sont vos deux héroïnes, Jahia et Mila ?
Jahia au début du film est assez renfermée, elle doit s’occuper de sa mère à la santé mentale vacillante, et elle est extrêmement stressée par l’attente de la réponse de l’administration quant à leur demande d’asile. Elle semble avoir abandonné l’école, son futur en quelque sorte, et ne parviens pas à prendre son envol. Mila au contraire semble affranchie de cette angoisse, elle est pleine d’énergie, et veut pouvoir rêver. Elle ne veut pas envisager l’échec. Comme souvent, il y a une vraie force d’attraction entre deux caractères qui s’opposent, et leur amitié va être de celles qui bougent les lignes, qui vous changent.
On va d’ailleurs assister à la métamorphose progressive de Jahia.
Oui, avant de rencontrer Mila est à la fois dans la survie, et dans le don de soi. Elle n’ose pas rêver. C’est dans son amitié avec Mila qu’elle va puiser la force d’avancer en pensant à elle aussi.
Toutes deux sont comme empêchées de se projeter, d’avancer.
Ce qui est frappant dans les centres de demandeurs d’asile, c’est que tout le monde attend. Chez les adultes, ça se traduit par une tendance à vivre dans le passé, à se raccrocher aux souvenirs. Alors que chez les jeunes gens, on constate une volonté d’apprendre la langue du pays d’accueil, de s’intégrer, mais pour autant, leur destin est suspendu. Ils flottent, en attendant. C’est pour cela aussi que cela m’intéressait de situer l’histoire dans un centre d’accueil perdu au milieu des bois, un ancien centre de vacances en fait, loin de la ville et son activité. Ils vivent dans cette petite bulle, très bucolique, une sorte de Tour de Babel, qui les isole encore plus.
Justement, comment avez-vous pensé la mise en scène de ce moment très dur de leur vie ?
J’avais envie d’un film très doux. La violence qu’elle subisse est à la fois intérieure, et hors champ. Elle est systémique, on ne la voit pas forcément. Je voulais aussi que cette douceur soit une porte d’entrée pour parler de leur parcours, pour nous entrainer dans leur histoire, de façon très simple.
C’est aussi un moyen de ré-humaniser des enjeux migratoires que l’on voit sans plus les voir dans l’actualité ?
Oui, l’idée n’était pas de faire un film de propagande, ou qui aborde frontalement ces thématiques, mais vraiment de les incarner à travers ces deux adolescentes, de créer un lien d’humanité avec le spectateur.
Comment avez-vous trouvé les deux comédiennes qui allaient incarner vos protagonistes ?
Je me rends aujourd’hui d’à quel point c’était un vrai challenge. Je savais qu’il faudrait que je travaille avec de très jeunes filles, je savais aussi que je voulais des jeunes filles qui aient connu des parcours similaires aux personnages, qui connaissent la question de l’asile. Le casting a été très long, et on a eu une immense chance de trouver Noura Bance et Sofiia Malovatska. Cela a été un vrai challenge pour moi de travailler avec deux comédiennes non-professionnelles, d’autant que dans le cas de Sofiia, elle commençait tout juste à apprendre le français, et ne pouvait pas improviser. On a beaucoup travaillé pour trouver les mots qui soient naturels pour elle, et pour le personnage. Et elles ont été formidables.
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