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France

Quentin Dupieux • Réalisateur de L’Accident de piano

"J’ai l’impression que c’est la première fois que l’absurdité de mon film correspond à celle de la réalité, sans décalage"

par 

- Rencontre avec le cinéaste français à l’occasion de la sortie de son quatorzième long métrage, satire grinçante de l’ère des créateurs de contenus

Quentin Dupieux • Réalisateur de L’Accident de piano
(© Philippe Lebruman)

Fidèle à son rythme de croisière effréné, Quentin Dupieux sort ce 2 juillet en France avec Diaphana (le 9 juillet en Belgique) son nouveau long métrage, L’Accident de piano [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Quentin Dupieux
fiche film
]
, l’histoire d’une créatrice de contenus interprétée par Adèle Exarchopoulos qui étant né avec une insensibilité congénitale à la douleur, en profite pour tourner de brèves vidéos où elle fait subir à son corps les pires sévices, des publications qui vont faire d’elle une star. Mais un accident vient remettre en cause tout à la fois son énigmatique silence médiatique, et le sens de sa pratique.

Cineuropa : Si vous deviez présenter le film en quelques mots ?
Quentin Dupieux :
Pour moi, c’est une photographie de la folie digitale dans laquelle nous vivons tous. J’insiste sur le terme photographie, plus qu’un point de vue, je n’ai pas envie de critiquer spécialement les réseaux sociaux et les gens qui les utilisent.

C’est une photographie à l’instant T, mais inscrite dans l’historicité du web et de la création de contenus, qui ne s’appelait pas encore comme çà à l’époque de Jackass que vous citez, par exemple.
Je ne cite pas Jackass par hasard, pour moi, c’était la première fois qu’on fabriquait des images assez pauvres, avec des caméras non professionnelles, et que c’était diffusé sur des chaines câblées qui normalement montraient des clips, des émissions hyper léchées. Même si par la suite, ces contenus ont été plus produits eux aussi avec la réussite et le succès. Au début, c’était des gamins qui faisaient les cons avec des caméscopes. Et le fait qu’un produit aussi pauvre soit excitant, ça a ouvert beaucoup de portes, et j’y vois une continuité avec ce qui se passe aujourd’hui. On peut rapprochait tout ça de ce que fait Magaloche. Attention, ce sont des choses que j’ai consommées et que j’aime beaucoup, je trouvais ça très drôle et bienvenu dans un monde où tout était surproduit. Le homemade faisait du bien, à l’époque.

C’est un contenu très pauvre, mais très démocratique.
C’est accessible à tout le monde de se filmer en train de cuisiner, de créer des petites fictions. La qualité vidéo d’un téléphone aujourd’hui est bien meilleure que celle de Jackass. Et finalement, tout ça s’est professionnalisé. Il y a quelque chose qui m’amuse dans le fait que tout le monde soit devenu créateur, en quelque sorte. C’est peut-être la limite de notre époque, on va arriver à un point où on aura autant de spectateurs que de créateurs, ce qui est assez aberrant, ça crée un déséquilibre que je trouve drôle à observer. Il y a surement un petit danger à ce que tout ça soit extrêmement banalisé, on voit de très jeunes enfants qui produisent, gagnent de l’argent avec des sponsors. C’est pour ça aussi que j’ai montré le début de l’histoire de Magali. C’est possible de vendre son âme dès le plus jeune âge. N’importe qui peut fabriquer du divertissement avec presque rien. C’est surement une bonne chose, mais ça a un côté vertigineux. On a beaucoup accolé le mot absurde à ma filmographie, mais je crois que L’Accident de piano n’est pas plus absurde que la réalité, alors que je n’ai pas changé ma façon d’écrire. Tout s’accélère tellement, que j’ai l’impression que c’est la première fois que l’absurdité de mon film correspond à celle de la réalité, sans décalage.

Magali constitue une rupture avec l’empathie, ne ressentant ni la douleur, ni on l’imagine les émotions. Ce qui la rend également insensible à la douleur des autres.
C’est quelque chose qu’on s’est beaucoup dit avec Adèle Exarchopoulos, c’était une vraie question : à quel point son insensibilité à la douleur a contaminé ses émotions ? Ou si elle a des émotions, est-ce qu’elle les cache tout le temps, comme un robot ?

Cette absence d’empathie l’isole, également, elle vit une grande solitude, face à la caméra, et dans la vie.
C’est ce que je ressens quand je regarde les réseaux sociaux. La façon qu’ont les gens de communiquer via des commentaires. On n’écrit jamais un commentaire quand on a des gens à qui parler. C’est la rencontre entre la solitude de ceux qui se filment et de ceux qui regardent. C’est tellement différent du cinéma, c’est quelque chose qui se partage avec des collaborateurs proches, une équipe, et puis une industrie.

Quel était le plus grand défi pour vous avec ce film ?
Le suspens. C’est vrai que par le passé, j’ai fait des films qui ne reposaient que sur un principe surréaliste. Mais j’avais une forte envie de réussir à créer du suspens, à ma façon. C’était le challenge, dans ma mise-en-scène : avec cette histoire un peu tordue et exagérée, réussir à créer du suspens, qu’on ait envie de savoir ce qui va se passer, qu’on ait une petite crainte, et un plaisir à découvrir le fameux accident de piano. J’avais une vraie envie d’une construction moins linéaire que d’habitude.

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