Nathan Ambrosioni • Réalisateur de Les enfants vont bien
"Un drame inversé, un film qui commence par le plus dur"
par Fabien Lemercier
- Le cinéaste français décrypte son 3e long métrage, centré sur une femme se retrouvant soudainement responsable des deux jeunes enfants abandonnés par sa sœur

Dévoilé en compétition au 59e Festival de Karlovy Vary avec Camille Cottin en tête d’affiche, Les enfants vont bien [+lire aussi :
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Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a attiré vers le sujet des disparitions volontaires ?
Nathan Ambrosioni : J’étais de passage pour 24 heures au Festival de Avignon en 2019 et le résumé d’une pièce de théâtre (que je n’ai pas vue) mentionnait les disparitions volontaires. Cela m’a tout de suite intrigué et très vite hanté : j’avais besoin de comprendre pourquoi et comment c’était possible. Il y avait aussi une forme de colère car ma sœur qui était partie de la maison quand j’étais adolescent, venait de quitter la France juste à ce moment-là. J’ai donc commencé à me renseigner et le sujet m’a habité pendant un long moment jusqu’à ce que je me sente prêt à l’aborder de manière plus apaisée, à surtout ne plus juger et à ne pas faire un film qui soit du côté du jugement, mais un film sur la famille, sur l’absence, sur comment on construit malgré les pièces manquantes. Ne pas faire un film sur le vide de la disparition volontaire, mais sur comment l’individu essaye de pallier ce vide.
Le point de départ de votre film est le degré supérieur de la disparition volontaire puisqu’elle inclut un abandon d’enfants. À quel point avez-vous enquêté pour écrire le scénario ?
J’ai passé la première année d’écriture à parler avec des policiers, avec des assistantes sociales, avec une juge aux affaire familiales, avec une psychologue, etc. De longues discussions qui m’ont aidé à construire le film dont je voulais qu’il soit le plus réaliste possible sur le sujet. Donc j’avais cette situation de départ, cette disparition volontaire, mais il fallait que quelque chose reste, d’où la présence des enfants. Dans Toni en famille, j’avais parlé d’une maternité exacerbée, gigantesque, avec cinq enfants, là je voulais faire l’inverse : raconter comment parfois ce sentiment de maternité n’existe pas, ou n’existe plus, ou se défait.
Maternité, sororité, passé familial, filiation : comment souhaitiez-vous explorer toutes ces facettes tout en restant simple ?
J’aime l’apparente simplicité, décrire assez simplement la condition humaine. La disparition de Jeanne en abandonnant ses enfants a l’air d’un acte inhumain et on essaye de comprendre pourquoi il ne l’est pas, sans le justifier mais en déconstruisant des schémas familiaux (d’où on vient, pourquoi cela nous appartient). J’aimais bien l’idée d’un drame inversé, un film qui commence par le plus dur. Au lieu de de monter vers la tension et le suffoquant, on commence par le pire de l’histoire avant de construire à partir de cela et de défaire des couches de leur histoire. Je n’avais pas envie que le film soit monomaniaque sur le sujet de société de la disparition volontaire, mais de m’intéresser à la vie des personnages, à leurs nuances. Et comme j’écrivais pour Camille Cottin, avec qui voulais refaire un film, j’avais déjà Suzanne, mon personnage principal.
Les points de vue sont aussi diversifiés, puisque vous passez de celui, principal, de Suzanne, à ceux des enfants.
En tant que spectateur adulte, on s‘identifie sans doute plus au point de vue de Suzanne, mais c’est vrai que j’avais cette volonté. Dans le scénario, il y a quasiment autant de scène du point de vue des enfants que de celui de Suzanne. Je voulais explorer cette disparition volontaire du point de vue de l’innocence la plus absolue et de celui d’un personnage très pragmatique qui a une distance sur les choses car Suzanne est un peu à l’arrêt dans sa vie après la fin du grand amour de sa vie. Je voulais que ces points de vue s’entrechoquent. Les points de vue des enfants, Gaspard et Margot, sont aussi un peu différents à cause de leur différence d’âge (dix ans et six ans). Margot a une candeur, elle vit dans le présent et le geste de sa mère, elle le comprendra sûrement plus tard de façon beaucoup plus brutale. Gaspard lui, vit déjà, avec le souvenir et le fantôme de sa mère. Je vois ça comme différents moments d’une explosion : la mère Jeanne, c’est le cœur de la bombe, Gaspard c’est la déflagration et Margot c’est la radioactivité plus tard.
Comment avez-vous réussi à faire respirer un film très resserré sur l’intimité ?
J’aime bien les "drames de maison", le cinéma de Kore-eda, les films d’Ozu ou d’Edward Yang par exemple. Pour cette histoire qui se passe en intérieur, il fallait quelque chose d’un peu suffoquant. Les personnages vivent dans de petits espaces, plutôt étriqués, mais je voulais filmer beaucoup en plan large, qu’il ait une sorte de contradiction. On filme aussi beaucoup à travers les fenêtres et de loin, comme quelqu’un qui observe car je voulais aussi que ce soit un film de fantôme d’une certaine façon, qu’on regarde les personnages un peu dans leur boîte. Mais comme c’est un drame à l’envers, il fallait qu’ils puissent s‘extraire du suffoquant avec des parcs, des grand espaces, l’imaginaire de films des années 80 comme Kramer contre Kramer, Des gens comme les autres de Robert Redford, Panique à Needle Park.
Quid de la musique au piano d’Alexandre de La Baume ?
Au départ, il ne devait pas y avoir de musique originale. J’avais une playlist avec beaucoup de Gabriel Fauré et un peu de Bach, donc du piano car j’aime cette contradiction de l’instrument avec des cordes qu’on frappe et un son doux, harmonieux, apaisant. J’ai adoré Le Ravissement [+lire aussi :
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fiche film], j’ai rencontré Alexandre un peu par hasard et je me suis dit que j’avais peut-être envie d’un compositeur. Il est formidable et il a travaillé sur le scénario, sur les rushes et sur les images finales. C’est vraiment la musique que j’imaginais pour le film avec ce thème qui revient mais à chaque fois avec beaucoup de nuances subtiles.
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