Manoël Dupont • Réalisateur de Avant / Après
"On a tourné de manière très instinctive, puis monté de manière très réfléchie"
par Aurore Engelen
- Le cinéaste belge nous parle de son portrait suspendu de deux hommes en plein questionnement, dans un moment de vulnérabilité

Manoël Dupont, réalisateur mais également comédien, s’est fait connaître avec son court métrage Oil Oil Oil, sélectionné à Clermont-Ferrand, qui a largement tourné en festival, notamment au FIFF de Namur où il a valu les Prix d’interprétation à Mara Taquin et Baptiste Leclère. Il retrouve ce dernier dans ce premier long métrage de fiction, Avant / Après [+lire aussi :
critique
interview : Manoël Dupont
fiche film], présenté à Karlovy Vary dans la section Proxima.
Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Manoël Dupont : Au départ, je voulais raconter un rapport flottant entre deux personnes, assez clair dans ma tête, sans même que les personnages aient un visage ou même un genre. Cette relation attendait de s’incarner, et puis j’ai croisé Baptiste et Jérémy Lamblot, des amis avec lesquels je fais du théâtre, que je connais très bien, et qui pourtant un jour m’ont surpris en me parlant de cette histoire d’opération qui leur trottait dans la tête. Je me suis dit que c’était dans ce contexte que cette relation devait prendre vie. Je leur ai alors demandé si je pouvais les accompagner dans cette expérience, et comme ils sont comédiens, je leur ai proposé d’en faire quelque chose d’un peu plus que simplement documenté.
Comment décririez-vous cette relation ?
Je suis passionné par les relations sur lesquelles on a du mal à mettre les mots. Le cinéma est un bel endroit pour explorer ça. Le fait qu’elle soit inégale et relève de plusieurs registres m’intéresse. Ce sont deux personnages qui flottent un peu dans leur vie, comme s’ils étaient en aquaplaning, ils semblent avoir une difficulté à se trouver, c’est surement ce qui les rassemble, plus encore que le fait d’être chauve et vouloir se faire opérer. Ils sont tous les deux très seuls, c’est ça aussi qui me touchait.
A partir du moment où vous avez trouvé les corps et les personnages pour incarner cette relation, comment s’est monté le projet ?
Baptiste et Jérémy m’avaient donné un an pour trouver les moyens de les suivre. J’ai hésité, documentaire, fiction, et puis je suis tombé sur l’appel à projets en production légère, c’était parfait, et tout est allé très vite. On a avancé de manière empirique, chaque acte posé nous faisait avancer vers autre chose. On s’était donné des lignes directrices, quelques scènes imposées, mais tout s’est beaucoup construit en se faisant. Pour ça, il fallait établir le cadre le plus précis possible, pour avoir ensuite le loisir de se laisser surprendre, de laisser entrer l’accident, et accueillir les rencontres.
Comment trouve-t-on l’équilibre entre fiction et documentaire ?
C’est toute la question, comment fictionnaliser la matière documentaire, et comment "documentariser" les comédiens qui eux viennent de la fiction ? On savait que dans la clinique, on n’aurait qu’une seule prise, que ce serait exigu. On a beaucoup tourné en plans séquences pour la matière documentaire, du coup on l’a fait aussi pour la fiction. Les comédiens marchaient sur un fil, sans savoir exactement où était la performance, s’ils devaient jouer, ou juste être.
C’est aussi un moment très particulier de la vie d’un homme, les cheveux qui tombent, c’est l’insécurité, la fragilité ultime, et en même, le signe du temps qui passe.
C’est en même super tabou, et pourtant souvent un sujet de rigolade. Je pense qu’il y a plein de moments drôles, légers, car la situation amène ça, du coup nous on n’a vraiment pas insisté là-dessus. On a voulu rester très premier degré. Ce n’était pas évident de ne jamais être cynique. Je ne voulais pas donner un avis sur ce genre de chirurgie. Mes deux comédiens ont beaucoup de second degré, ne serait-ce que d’avoir accepté, ils sont très marrants dans la vie et voyaient un vrai terrain de comédie, et j’ai presque dû leur interdire de faire des blagues. Il a fallu leur demander de ne pas mettre de distance entre eux et leur personnage. Finalement, c’était vraiment leurs cheveux ! Et puis bien sûr, on a beaucoup construit au montage. On a voulu trouver de la douceur, dans un contexte qui ne l’est pas tant que ça.
Quel était le plus grand défi ?
Le montage. On n’avait pas de clap, quasiment pas de scénario, c’était très rare qu’on refasse la même scène, l’arborescence des possibles était énorme. L’équilibre n’était pas facile à trouver j’ai beaucoup appris grâce à mon monteur. On a tourné de manière très instinctive, puis monté de manière très réfléchie.
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