Abel Ferry • Réalisateur de Gibier
"Dans mon film la violence envahie tout le monde, indépendamment de la justesse de la cause"
par Muriel Del Don
- Le réalisateur français parle avec nous de sa passion pour les films de genre et les personnages hors norme mais aussi de comment le cinéma peut sublimer la violence

Après avoir conquis le public du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (mais pas que) avec son film Vertige [+lire aussi :
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interview : Abel Ferry
fiche film], un film coup de poing à la fois cruel et hilarant qui parle de maltraitance animale. À l’occasion de la présentation du film en première mondiale au NIFFF, il nous parle de ce qui l’intrigue dans le cinéma de genre, de ses acteurs et de la genèse du film.
Cineuropa : Où nait l’idée du film ? Est-ce que vous vouliez parler de maltraitance animale dès le départ ?
Abel Ferry : A partir du moment où Fabrice Lambot, le producteur du film, m’a envoyé le scénario de Guillaume Chevalier il y a 4 ans, nous avons commencé à travailler sur l’histoire en réfléchissant à la légitimité de la violence, pour la dénoncer. Il y avait dès le départ l’idée de parler d’un groupe de jeunes écoterroristes qui vont dans un abattoir pour tenter de filmer la maltraitance animale. Il s’agissait de parler de maltraitance animale en mettant en scène des jeunes en marge qui essayaient de changer le monde. Cela dit, les personnages sont assez ambigus et la violence n’est pas l’apanage exclusif des soi-disant "méchants". Par exemple, le directeur de l’abattoir, Philippe [interprété par Olivier Gourmet], veut sincèrement protéger ses employés en évitant qu’ils perdent leur travail à cause des vidéos tournées en cachette par les écoterroristes. Il n’est pas juste motivé par l’argent, par un but mercantile, il les aime vraiment. Chacun a ses arguments et défend sa cause. Bien entendu, il y a également des personnages, comme Michel ou Fouad par exemple, qui donnent au film un côté un peu plus extrême. Dans le film, on oppose aussi deux modes de vie, un plus marginal, humaniste et autonome où règne un esprit critique et un autre plus rationnel et concret qui vise le sommet du pouvoir. Malgré ces différences, la violence envahie tout le monde, indépendamment de la justesse de la cause.
Dans votre film la violence est frontale et directe et ce sont principalement les personnages masculins à en abuser. Est-ce que nous pouvons lire cela comme une critique de la masculinité toxique ?
Si on peut effectivement remarquer cela dans le film, nous ne l’avons pas planifié dès le départ. Les personnages féminins ont aussi recours à la violence, mais plus tardivement et uniquement s’ils y sont contraints. Dans mon film, les hommes cèdent en revanche à une sorte de virilité exacerbée qui les pousse naturellement vers des comportements extrêmes et violents. Cela dit, je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites que la violence est aussi construite socialement et que les femmes y sont souvent exclues. Elles sont en effet vues comme plus réfléchies et calibrées.
Qu'est-ce qui vous attire dans le cinéma de genre ? Quels sont les avantages de critiquer le monde à travers le prisme de l'horreur ?
Dans le cas de mon film, nous sommes partis d’une problématique spécifique, la dénonciation de la maltraitance animale et de la violence plus en général et nous avons essayé de trouver un angle d’approche formel particulier et original pour la mettre en scène. J’ai toujours aimé les films de divertissement mais pour qu’ils soient réussis il faut faire en sorte que les spectateurs ne s’ennuient pas, qu’ils passent un bon moment et qu’ils ne pensent pas, le temps du film, à leur quotidien. J’ai beaucoup de respect pour le public et, pour moi, les films de genre doivent lui permettre de voyager, lui faire passer un bon moment. Ce sont des films comme Terminator ou Alien, mais également tous les films de Spielberg, qui m’ont donné envie de faire du cinéma. J’ai une appétence pour ce genre de films et j’ai essayé de suivre cette voie depuis mes courts. Je trouve que, la mise en scène de ces films permet de "jouer", au sens noble du terme, avec les spectateurs.
Comment travaillez-vous avec les acteurs et les actrices ?
Le film est écrit et peaufiné à l’avance. Les acteurs et actrices y ont eu accès, je ne suis pas trop manipulateur avec eux et elles et j’essaye d’être clairs dans ce que je veux. Par exemple, dès le début j’ai dit à Kim Higelin, la protagoniste, qu’elle allait devoir traverser un lac à la nage, qu’elle n’allait pas être seule mais que la scène allait être filmée en entier, sans trucages. La même chose pour les combats. Les acteurs et actrices savaient que les combats allaient être joués pour de vrai, sans que les doublures interviennent à chaque fois. Ils et elles connaissaient leurs chorégraphies et étaient prêts à l’avance, tout était calibré.
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