Slovénie / Italie / Croatie / Serbie
Urška Djukić • Réalisatrice de Little Trouble Girls
“Entendre les voix de ces jeunes filles sur le point de devenir des femmes paraissait incroyablement important”
par David Katz
- La réalisatrice montante nous parle de l'origine de son film – un des premiers longs les plus impressionnants de l'année, qui s'intéresse à une chorale de filles slovène – et des thèmes qu'il aborde

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fiche film] d'Urška Djukić, projeté en début d'année dans la nouvelle section Perspectives de Berlin, n'y a remporté que le Prix FIPRESCI, indépendant, alors qu'il faisait l'effet d'être l'incarnation même de la raison même pour laquelle cette section a été créée, d'un étendard, presque, pour ce volet célébrant des premiers films marquants, avec de belles ambitions artistiques, observant notre monde selon des "perspectives" singulières. Alors que les salles sont inondées de films d'apprentissage de cinéastes débutants, Little Trouble Girls se distingue par son niveau d'aboutissement dans le traitement qu'il fait de ses thèmes et par ses choix visuels. Le film suit un chœur de jeunes filles slovènes, élèves d’une école catholique, dans leur voyage scolaire en Italie, en s'intéressant plus particulièrement à la compétitivité ainsi qu'à l’éveil sexuel de deux des choristes, la première timide mais déterminée, l’autre plus provocatrice. Après son beau parcours dans les festivals, une large distribution internationale se profile pour Little Trouble Girls, qui arrive notamment dans les en salles au Royaume‑Uni et en Irlande cette semaine, un privilège rare pour un film de cette région.
Cineuropa : Qu'est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Urška Djukić : J'en ai eu l'idée en assistant pour la première fois au concert d'une chorale féminine d'élèves en école catholique. Leurs voix étaient si puissantes, si chargées d’émotion, que j'en ai presque eu les larmes aux yeux. Il y avait quelque chose, dans la voix de ces jeunes filles sur le point de devenir des femmes, qui paraissait incroyablement fort et important, d’autant plus qu'on sait à quel point les voix féminines ont été réduites au silence, tout au long de l’histoire. Je me souviens d'avoir vu, dans le public, trois prêtres aussi émus que moi, et la situation m’a paru inhabituelle : des hommes représentant le patriarcat, ayant prononcé le vœu de célibat, écoutaient attentivement ces voix qui irradiaient une énergie très féminine. L'image était si énigmatique que j’ai compris que j'allais devoir creuser le sujet. J’ai suivi ce chœur un certain temps, j'ai observé ces filles, et c'est de là qu'est né le scénario.
Comment avez-vous décidé de la structure du récit, envisagé à travers la dynamique de groupe des filles pendant leur voyage ?
J'ai trouvé fascinant de voir à quel point l’histoire émanait du lieu lui‑même. Quand nous avons trouvé le monastère des Ursulines, à Cividale del Friuli, où nous avons ensuite tourné le film, je me suis ai immédiatement sentie guidée par cet endroit. Cet espace lui-même a commencé à me raconter une histoire. Même l’idée des ouvriers qui rénovent le monastère vient directement du réel : à notre arrivée, le bâtiment était en pleine restauration. Au début, je me suis dit qu’il serait impossible de filmer avec tous ces échafaudages et ce bruit, et puis j’ai compris que c’était en fait idéal, car c'est une métaphore de l’effondrement des structures anciennes, rigides, et de leur reconstruction avec une énergie nouvelle.
Les vignes, à côté du monastère, m'ont elles aussi inspiré une scène clef. En écrivant, je remarquais constamment les raisins encore verts, pas encore mûrs, et un jour, une idée m’a frappée d'un coup : si on les mange, on peut vraiment souffrir. Cet élément-là est devenu une métaphore de l’autoflagellation et de la culpabilité, et c'est ce qui a mené à cette scène, à la fois ludique et centrale, dans le film.
La chorale était une autre affaire, car nous avons monté notre propre formation de choristes pour le projet. La plupart du temps, il y avait trente filles sur le plateau, ce qui n'était pas facile à diriger dans la mesure où je voulais filmer le chant en temps réel, pour bien rendre la manière dont se passent les répétitions d’un chœur.
Pourquoi avez-vous tenu à relier le récit d'apprentissage et l’exploration du catholicisme et de la spiritualité ? Vous êtes-vous inspirée de certains grands films évoquant la religion catholique ?
Petite, j’éprouvais une certaine culpabilité par rapport à mes instincts, sans vraiment comprendre pourquoi. Bien que ma famille ne soit pas pratiquante au sens strict, ma mère m’a élevée selon la notion catholique traditionnelle de la "bonne petite fille". Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ces idées, qui touchent à l’image du corps et à la sexualité, sont plutôt rigides et maladroites. À mes yeux, la sexualité vue comme un péché et le manque général d’éducation dans ce domaine constituent un mécanisme subtil qui coupe la personne du pouvoir qu'elle a en elle. Les personnes qui sont à l'écoute de leur corps se laissent moins facilement mener à la baguette, car elles font davantage confiance à leur compas intérieur intuitif qu’aux influences extérieures. Dans le film, Lucija [Jara Sofija Ostan] s'interroge sur ce qu'elle ressent dans son corps par rapport aux normes et attentes sociales et, in fine, à travers une expérience corporelle transcendante et cathartique, elle décide de ce qui va la guider dans la vie.
Quels types de projets souhaiteriez-vous développer après celui-ci ? Avez-vous envie de continuer de travailler à l'international ?
Oui, absolument, je vais continuer de travailler dans le cadre de collaborations internationales. Je développe en ce moment un nouveau projet dont le provisoire est Veronika of Desenice. L’histoire se passe au XVe siècle, sur le territoire de l’actuelle Slovénie (qui dépendait alors de la monarchie des Habsbourg) et s’inspire d'une tragédie historique réelle : le premier procès en sorcellerie documenté de l’histoire "slovène". Le film racontera l’histoire d’amour qui unit le comte Frédéric II de Celje et son épouse Veronika, accusée de sorcellerie par son puissant beau-père, ce qui l'a forcée à se réfugier dans un monastère chartreux, où elle aurait été protégée par un moine nommé Prieur Arnold. Ainsi, une fois encore, mon deuxième film se déroulera dans un monastère, mais cette fois un monastère d’hommes.
(Traduit de l'anglais)
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