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VENISE 2025 Orizzonti

Teona Strugar Mitevska • Réalisatrice de Mother

"J’ai toujours voulu faire de Mère Teresa une icône punk"

par 

- VENISE 2025 : Rencontre avec la cinéaste belgo-macédonienne à propos de son nouveau film, un anti-biopic de Mère Teresa

Teona Strugar Mitevska • Réalisatrice de Mother
(© 2025 Fabrizio de Gennaro pour Cineuropa - fadege.it, @fadege.it)

Teona Strugar Mitevska est de retour à la Mostra de Venise dans la section Orizzonti, où elle présentait en 2022 son sixième long métrage, L’Homme le plus heureux du monde [+lire aussi :
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. Après avoir inventé une série de personnages originaux dans ses précédents films, elle puise cette fois-ci son inspiration chez une figure historique connue de tous : Mère Teresa. Mais comme on pouvait s’y attendre chez cette cinéaste à l’univers singulier, Mother [+lire aussi :
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est à mille lieux du traditionnel biopic, et dresse le portrait saisissant d’une icône non pas chrétienne, mais résolument punk. On la suit durant une semaine charnière de sa vie, avant qu’elle ne fonde les Missionnaires de la Charité. Elle nous parle de ce film qui la hante depuis des années.

Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a attirée chez dans le personnage de Mère Teresa ?
Teona Strugar Mitevska :
En tant qu’artiste, on essaie toujours d’imaginer quelque chose de plus grand que soi, c’est pour ça qu’on crée, pour explorer. Mère Teresa vient de Skopje en Macédoine, comme moi. J’ai appris à admirer qui elle est, ce qu’elle représente, avec toute sa complexité, les controverses autour d’elle, son exubérance, son endurance. C’est un projet sur lequel je travaille depuis des années, il y a 15 ans déjà, j’avais fait un documentaire sur elle. Mais cela m’a pris du temps d’avoir la confiance en moi pour assumer de faire un film en anglais, sur une figure aussi connue, tout en faisant le film que moi je voulais faire. C’est la tragédie de beaucoup de femmes, ce manque de confiance. Ce film me représente totalement, moi, mon point de vue sur le cinéma. Et puis c’est important de mettre en avant des personnages féminins imparfaits. On en a marre, des saintes, non ?

Justement, comment s’empare-t-on d’un personnage qui est une telle icône, qui pré-existe dans l’imaginaire des gens ?
En la démystifiant, en montrant la personne derrière le mythe. Beaucoup des anecdotes que l’on retrouve dans le film sont basées sur ce que m’ont raconté les quatre soeurs de son ordre que j’ai pu rencontrer quand je tournais le documentaire. Ce personnage est tellement riche, a tellement de facettes. Elle est terriblement humaine.

Vous parlez de démystifier, est-ce que c’était amusant de jouer de son imagerie, une sainte, une icône chrétienne à l’origine, qui devient punk dans votre film ?
J’ai toujours voulu en faire une icône punk. Pour moi, c’est une sorte de Robin des bois, elle a pris aux riches pour donner aux pauvres. Elle avait une vraie audace, c’est pour ça aussi que nous avons choisi Noomi Rapace pour l’interpréter, car elle est profondément punk. Et je dois bien dire que ce film fait partie des choses les plus amusantes que j’ai faites dans ma vie. On s’était dit dès le début qu’on voulait cette liberté punk. Le tournage a été organisé comme ça. On était comme des enfants, avec la liberté de s’en foutre, de ne pas être enfermés dans l’idée de ce que devrait être une sainte, ce à quoi elle devrait ressembler.

Il y a une liberté par rapport à l’image de la sainte, mais aussi par rapport à l’idée que l’on peut se faire d’une icône féministe, parfaite dans ses engagements. Teresa est bien plus trouble.
Quand on faisait nos recherches, on est tombé sur l’histoire de ce père dont on a "séparé" Teresa, on l’a même exilée à Darjeeling pendant tout un temps. A un moment je me suis même dit que c’était là notre histoire. J’admire son caractère, et en même temps, je suis perplexe notamment quant à son point de vue sur l’avortement. C’est le droit le plus sacré des femmes, celui de disposer de leur corps, le plus personnel aussi. Je ne pouvais pas ne pas parler d’avortement, en tant que féministe d’aujourd’hui. Mais en parler, c’est aussi essayer de comprendre que Teresa, il y a 80 ans, faisait partie d’une institution catholique, donc oui, elle suivait la doctrine. On a tendance à éviter les controverses, en général, mais moi, je voulais les affronter. L’idée est de comprendre Teresa, pas de la justifier.

Le film se passe il y a 80 ans, mais il est très actuel, ce n’est pas un film historique, il ne s’embarrasse pas à montrer Calcutta en 1948, c’est un portrait, à travers le regard de Teresa.
Au-delà de la question de l’avortement, je trouve Teresa extrêmement moderne, dans son idée de créer une armée femmes au service des autres. J’aime son ambition, elle pourrait être la CEO d’une entreprise, mais pas une entreprise capitaliste ! Il est évident que je ne voulais pas faire un film historique. Son combat contre la pauvreté est toujours aussi actuel. Rien n’a beaucoup changé aujourd’hui, quand on va à Calcutta, ou même ailleurs. Depuis le début, on me demande si c’est un biopic, et je réponds que non. On a pensé le film comme un flux de conscience, on est dans la tête de Teresa, on voit le monde à travers ses yeux. Du coup, un plan de Calcutta comme vous le dites, ce serait sortir de ça. Elle n’en a pas besoin !

Le film s’appelle Mother, c’est un surnom, mais ça soulève aussi la question de la maternité.
Teresa fait un sacrifice en renonçant à la maternité, en rejoignant l’ordre, en se "mariant" à Dieu. Mais c’est avant tout le choix d’une femme ambitieuse. En fait, les soeurs de son ordre trouvaient leur liberté dans ce choix. C’était une façon de ne pas se marier, de ne pas cuisiner pour un homme. Aujourd’hui encore, dans certaines régions du monde, devenir religieuse, rejoindre un ordre, c’est encore, paradoxalement, une façon de refuser de se fondre dans le moule, d’être "la femme de", "la mère de". C’est une décision radicale. Quand elle découvre la grossesse de soeur Agnieszka, il y a presque de la jalousie dans sa voix, et on comprend qu’elle questionne ses choix, que peut-être au fond d’elle, il y a aussi un désir refoulé de maternité. C’était très important pour nous en écrivant le scénario de montrer comment elle arrive au point de non-retour, d’être auprès d’elle au moment où elle prend sa décision finale, de poursuivre son ambition.

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