Valérie Donzelli • Réalisatrice de À pied d’œuvre
“Ce film se devait d’être honnête”
par Marta Bałaga
- VENISE 2025 : Dans le nouveau film de la réalisatrice française, la liberté coûte cher, mais elle en vaut bien la peine

Dans son nouveau film, À pied d'œuvre [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Valérie Donzelli
fiche film], présenté en compétition à la Mostra de Venise, l’actrice et réalisatrice Valérie Donzelli suit un personnage qui décide de tout arrêter quand le reste du monde continue de courir. Il s'agit d'un photographe à succès (Bastien Bouillon) qui devient un écrivain sans le sou, piégé dans une suite continuelle de petits boulots en tous genres. Personne ne comprend ce qu’il fait, mais il est déterminé, principalement parce qu’il se sent enfin libre.
Cineuropa : Cette idée selon laquelle on ne peut pas faire de l'art, ou se dédier à l'écriture, et bien gagner sa vie va paraître très vrai à un grand nombre de spectateurs. Qu’est-ce qui vous a paru authentique à vous, dans cette histoire ?
Valérie Donzelli : Ce qui m'intéresse là-dedans, et c'est en cela que je me suis rapportée à cette histoire [le film s’inspire du livre de Franck Courtès dont il reprend le titre], c’est le sens que Paul veut donner à sa vie : toute sa quête de sens. Il ne veut pas se trahir lui-même. Je voulais aussi souligner qu'on ne fait pas d’art simplement pour être artiste : l’idée est d’essayer de transcender le réel, ou de s’en nourrir, et de trouver une réponse à quelque chose qu’il serait impossible d’expliquer autrement. C’est un état d’esprit qu’on ne peut pas contrôler, ça va au-delà.
On tend à penser que ne pas posséder grand chose est peut-être un bien, mais voilà le héros qui passe tout son temps à chercher des petits boulots et des manières de rester à flot.
Ne pas avoir d’argent, comme il dit, complique singulièrement la vie. Devoir constamment compter devient une obsession quand on manque de tout, qu'on vit au jour le jour avec ce qu’on a sans pouvoir dépenser davantage parce qu’on ne pourra jamais combler ce trou. On gagne en liberté mais en même temps, le personnage souffre de cette situation.
Ça n’est pas juste, parce que c’est vrai qu’on ne paie pas les scénaristes pour écrire. Il aura peut-être une avance, mais ce n'est pas un emploi à plein termps, et puis ça prend du temps, d'écrire un livre. Ça requiert une disponibilité intellectuelle constante (l’inspiration ne vous vient pas juste comme ça). Ça ne ressemble pas à ce qui est habituellement considéré comme du "travail", et on n'arrive jamais à combler les manques que les lois de l’économie vous imposent. C’est un choix, c'est son choix, mais ça lui cause aussi bien des soucis.
C’est intrigant qu'au lieu de lui proposer une solution claire, vous ayez voulu montrer… une acceptation résignée, disons.
Ça se termine aussi comme ça dans le livre – quelqu’un dit "Je vous dois combien ?" et il répond "45 euros". J’a trouvé ça beau parce que c’est la vérité, sa vérité, la vérité tout le monde. Souvent, quand on fait un film, même si on a été payé pour le faire, à sa sortie, on se retrouve dans une zone d'incertitude : on ne sait pas si on en fera un autre, et ça ne cesse jamais vraiment d'être comme ça. Heureusement, il arrive à trouver un équilibre dans son nouveau système économique. Il parvient à sortir de ce qui le réduisait, avant, à l’esclavage, mais il continue de travailler clandestinement, dans la pauvreté, et survit grâce à son petit réseau.
Paul fait face à beaucoup de pression de l’extérieur (son père n’aime pas son choix, son ex femme non plus, ses enfants sont troublés), mais il continue et ne renonce pas à sa mission. Il y a quelque chose d’effrayant et de galvanisant dans sa détermination.
Parce qu’il sait que c’est sa vérité ! Il le comprend, et rien ne pourra le faire dévier de la voie qu'il s'est choisie. Il est là où il doit être : c'est sa vocation. Les gens le jugent pour ça, c’est vrai, mais ils l'envient aussi. Il est libre : il a décidé qu’il suivrait ce chemin, quoi que disent les autres. Il a dit stop pour exaucer son rêve.
J’ai aussi vécu ça quand j’étais plus jeune. J’ai arrêté l’école et décidé que je voulais devenir actrice. Mon père avait très peur pour moi. Ma mère avait peur pour moi. Ils me demandaient toujours "Quand est-ce que tu vas jouer dans un film ?", mais quand ça m’est finalement arrivé, ils ont dit : "C'est quand, le prochain ?". Ils étaient curieux, mais il y avait une résistance. Cela dit, c'est le monde dans lequel on vit qui veut ça, mais il y aura toujours des gens qui choisissent une vie plus aventureuse. Ils ont l'occasion de vivre ses aspects les plus rudes, mais aussi les plus beaux. Je ne juge personne : tout le monde a droit de vivre sa vie comme il l'entend, ou comme il le peut. C'est juste que quand quelqu’un décide de sortir de ce système bourgeois et de faire quelque chose de surprenant, immanquablement, ça en ennuie certains.
Il y a quelque chose d’extrêmement précis dans À pied d'œuvre. Recherchiez-vous cette simplicité parce qu'elle reflète son existence limitée au minimum vital ?
Je voulais être totalement sincère sur ce que je savais : c’est mon point de vue sur le monde. Je ne voulais pas tricher, pas une seule seconde. Ce film devait être honnête. J’ai cherché ça tout le temps, partout : dans chaque plan, chaque détail sur le tournage. J’avais besoin que ce soit comme une robe de haute couture : sublime, mais tous les détails sont bien cachés. Il y a beaucoup de travail derrière tout ça, mais j’espère que ça a l’air simple, oui. Et pur.
(Traduit de l'anglais)
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