Maryam Touzani • Réalisatrice de Rue Málaga
“J'ai senti cette richesse, pendant mon enfance, alors je voulais rendre hommage à cette communauté”
par Olivia Popp
- VENISE 2025 : La réalisatrice du Bleu du caftan nous explique pourquoi elle a voulu restituer sur le grand écran la beauté unique et la complexité de sa ville natale : Tanger

La réalisatrice marocaine Maryam Touzani s’est fait connaître sur la scènee internationale en 2019 avec son premier long-métrage de fiction, Adam [+lire aussi :
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fiche film], qui a été sélectionné à Cannes dans la section Un Certain Regard, puis comme candidat marocain dans la course aux Oscars. Elle a continué dans sa lancée avec le récit situé à Salé Le Bleu du caftan [+lire aussi :
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fiche film], projeté sur la Croisette dans la même section en 2022 et distingué par le Prix FIPRESCI, après quoi elle a coécrit Everybody Loves Touda [+lire aussi :
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fiche film] avec son mari le cinéaste Nabil Ayouch, qui est aussi le producteur de son nouveau travail, Calle Málaga [+lire aussi :
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interview : Maryam Touzani
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Dans ce film, qui est son premier long-métrage en espagnol, Touzani tourne son regard vers la ville où elle a grandi, Tanger, à travers l'histoire d'une Tangéroise septuagénaire opposée à la volonté de sa fille de vendre sa maison en ville, qui finit par y trouver une nouvelle vie. À l’occasion de la première du film dans la section Venezia Spotlight de la Mostra de Venise, nous l'avons interrogée sur le tableau qu’elle livre ici du quartier espagnol historique de Tanger, entre autres choses.
Cineuropa : Votre film s'intéresse au quartier de Tanger où s'est installée la diaspora espagnole. Vous l'ouvrez d'ailleurs sur un texte qui explique l'histoire forte qu'a cette communauté avec la ville. Quels sont les traits typiques de ces gens qui vous ont paru saillants pendant l'élaboration du film ?
Maryam Touzani : Il était important de montrer l’attachement viscéral qu'a cette communauté pour Tanger. Ma grand-mère était espagnole et elle a grandi en parlant espagnol ainsi qu'arabe. J’ai été très proche de cette communauté et j'ai toujours été très touchée par elle, parce que je l'ai vue s'amenuiser au fil du temps. Les personnes âgées mouraient et la plupart des enfants partaient étudier en Espagne, mais certains, comme les amis de ma grand-mère, n'ont jamais envisagé un seul instant de quitter le Maroc. Le cimetière qu’on voit dans le film est celui où ma grand-mère est enterrée. Il témoigne de l'existence de toute une génération désormais disparue. Je voulais mettre en avant le fait que ces gens faisaient totalement partie de la communauté marocaine qui les entourait, tout en conservant aussi leur propre culture. Ma grand-mère était extrêmement espagnole (elle cuisinait des plats espagnols, elle était chrétienne) et en même temps, elle était profondément marocaine. Il y avait une richesse que j’ai sentie en grandissant, alors j'ai voulu rendre hommage à cette communauté.
Votre héroïne, Maria Angeles, a une relation unique avec une religieuse cloîtrée, sœur Josefa, qui est son amie d’enfance. Elles ont une sorte de dynamique psy-patient, mais le spectateur aussi reçoit beaucoup de leurs calmes moments d'interaction.
Je voulais montrer que sœur Josefa vit aussi beaucoup de choses à travers Maria Angeles. C’est une belle amitié, un lien fort. Sœur Josefa n’est pas née de rien. Toute mon enfance, ma grand-mère rendait visite à ses amies religieuses. Il y avait un endroit où on allait souvent où il y avait des nonnes qui avaient fait vœu de silence. Petite, j'étais très intriguée par elles, je me demandais comment elles arrivaient à exprimer ce qu’elles ressentaient. Au moment de l'écriture du film, l’idée de sœur Josefa m'est tout naturellement venue à l’esprit. Comme vous le disiez, leur relation évoque la relation d'un psy et son patient, parce que je pense que parfois, on a simplement besoin que quelqu’un nous écoute et soit là pour nous, pas nécessairement pour nous dire quoi faire ou nous conseiller, mais juste pour nous aider à ne pas nous sentir seul.
Vous décrivez non seulement une forte intimité émotionnelle, mais aussi une intimité sexuelle, entre Maria Angeles et Abslam. Pour vous, que représentait le fait de montrer tous les aspects de cette relation ?
Je pense réellement que la vieillesse est quelque chose de très beau. C’est un privilège de vieillir. Hélas, dans la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, nous avons très peur de vieillir. Je voulais arriver à sublimer le vieillissement et rendre belles les rides, que mon héroïne devienne encore plus forte dans la beauté de son vieil âge. Au cinéma, on tend à cacher les corps vieillissants, on ne veut montrer que des corps beaux dans le sens de parfaits. Pour moi, un beau corps, c'est un corps qui a vécu, sur lequel la vie a laissé des rides et des marques. C’était vraiment important pour moi de pouvoir, d’une manière ou d'une autre, célébrer la vieillesse, et ça veut aussi dire célébrer la sexualité, célébrer un corps qui s’autorise à continuer de ressentir du plaisir.
On a la chance de voir dans le film de nombreuses facettes de la ville, des logements au marché. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre l’énergie naturelle de la ville et votre propre regard sur Tanger ?
La rue de Maria Angeles est une rue où on a une partie du passé, à travers les façades, qui se mélange avec la vie qui palpite en dessous : la jeunesse, les vendeurs, tout. J’adore la manière dont ces deux mondes, le passé et le présent, cohabitent dans cette rue. Dans les grandes villes, c’est vrai qu’on perd de plus en plus l'habitude d’aller au marché. On n’a plus nécessairement de relations avec les gens qui nous vendent du pain ou des légumes. À Tanger, il y a encore ça. Il y a quelque chose d’authentique dans ces relations qui existent encore, et je trouve ça beau et ça m’inspire.
(Traduit de l'anglais)
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