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VENISE 2025 Hors-Compétition

Lucrecia Martel • Réalisatrice de Nuestra tierra

“Quand on pense aux terres prises aux peuples indigènes, on pense aux matières premières, mais c'est aussi la beauté qu'on leur vole”

par 

- VENISE 2025 : La cinéaste argentine nous parle de son premier documentaire, qui lui a demandé quinze ans de travail

Lucrecia Martel • Réalisatrice de Nuestra tierra
(© Aleksander Kalka/La Biennale di Venezia - Foto ASAC)

Nuestra tierra [+lire aussi :
critique
interview : Lucrecia Martel
fiche film
]
est le premier long-métrage documentaire de l’Argentine Lucrecia Martel, dont les films de fiction ont été encensés pour leur finesse narrative et les interprétations profondément émouvantes des comédiens. Nuestra tierra, qui a fait sa première en compétition à Venise, est un document par excellence, puisqu’il chronique la spoliation continuelle, de la part de l'État argentin, des droits des communautés indigènes sur leurs terres, en particulier les Chuschagasta. Martel a mis quinze ans à faire ce film à compter du meurtre par balle du leader de cette communauté, Javier Chocobar, en 2009, par des propriétaires terriens. Cineuropa a interviewé la cinéaste, qui avait très envie de discuter des enjeux du film en tant qu'archive. 

Cineuropa : Avant de s'appeler Nuestra tierra [litt. "notre terre"], le projet s'intitulait Chocobar comme le leader indigène assassiné. Pourquoi ce changement ?
Lucrecia Martel : Le film a toujours été intitulé Nuestra tierra, mais en interne, nous l'appelions Chocobar (et c’était aussi le nom du dossier avec toutes les recherches, sur mon ordinateur). Les gens ont eu vent de ce deuxième nom quand nous avons obtenu une aide au développement à Locarno. Je me demande s'ils s’attendaient à un autre film ou ignoraient qu'il s'agissait du même projet.

Que pensez-vous du titre anglais, Landmarks?
Je ne parle pas très bien l’anglais. C'est Joslyn Barnes [notre productrice américaine] qui l'a suggéré. Ça me paraît pas mal, mais qu’en pensez-vous ?

J'aime bien le fait qu'il contienne "marks", parce que ça m'évoque des cicatrices.
En effet, elle a dit la même chose : que cette terre porte des cicatrices.

Pouvez-vous nous parler du pouvoir qu'a le cinéma documentaire de réaliser des archives là où il n’y en avait pas ?
C’est très important. En faisant ce film, souvent, je regardais les documents et les archives personnelles des Chuschagasta en me demandant si on devait ou pas intégrer des photos entières dans le cadre, les montrer comme telles : de véritables photographies. Au lieu de ça, j’ai décidé de zoomer dedans, pour "entrer" dans les scènes représentées. Quant aux documents que nous avons trouvés, nous les avons tous scannés et donnés à la communauté : le film lui-même est l'archive de ce que nous avons fait. Si j’ai fait des erreurs, par ignorance, au moins, il y a ces documents qui existent en dehors du film. Cela m'a un peu soulagée de la tristesse que j'éprouve face à cette situation.

À un moment, on voit la communauté en train de regarder un film, projeté en plein air. Est-ce que c'est vous en train de leur montrer des parties de Nuestra tierra ?
Ce que vous voyez vient effectivement du film, mais ce qui est plus intéressant, c’est que le même jour, on a organisé la projection d’un court-métrage réalisé par les enfants, dans le cadre d’un atelier de cinéma que nous avons fait avec [le chef opérateur] Ernesto de Carvalho. Mais les images que vous voyez ne sont pas celles-là.

Pourquoi ne les avez-vous pas utilisées ?
Mon intention n'a jamais été de faire un "film collectif" : Nuestra tierra est un film que j’ai réalisé et monté, et pour lequel j’ai décidé du son. Il ne faut pas qu'il y ait de malentendu : ce n’est pas la voix de la communauté. Ç'aurait très irresponsable de ma part. La responsabilité du film repose sur moi : quand je dis que ces hommes sont des tueurs, je ne veux pas que les gens pensent que c’est la communauté qui dit ça.

Ce territoire est montré à travers "l'œil" de caméras montées sur des drones, comme aucun oeil humain ne peut le voir. Avez-vous hésité à utiliser des drones, du fait de leur destination militaire ?
Oui, ça m'a posé problème ; je n’avais jamais imaginé que j'utiliserais un drone, mais quand j'ai vu que la police utilisait des drones pour filmer la reconstitution du crime, ça m’a donné une idée : utiliser ces images en faveur de notre film et de la communauté. Quand j’ai vu pour la première fois une image aérienne, j’ai compris comment le territoire était organisé. C’est difficile de comprendre ce territoire, du sol, mais quand d'en haut, on prend pleinement conscience de la beauté de l’endroit. Quand on pense aux terres prises aux peuples indigènes, on pense aux matières premières, mais c'est aussi la beauté qu'on leur vole.

(Traduit de l'anglais)

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