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TORONTO 2025 Discovery

Cato Kusters • Réalisatrice de Julian

“On a voulu que la texture du film ressemble à celle de la mémoire, des souvenirs”

par 

- Rencontre avec la jeune cinéaste flamande pour parler de son premier long métrage de fiction, une adaptation du livre de l’artiste et activiste LGBTQ+ Fleur Pierets

Cato Kusters • Réalisatrice de Julian
(© Aline Boyen)

La jeune cinéaste flamande Cato Kusters s’est faite remarquée avec son film de fin d’études, Finn’s Heel, qui lui a valu de nombreux prix en festivals. Pour son premier long métrage de fiction, elle s’est lancée dans l’adaptation, aux côtés du scénariste Angelo Tijssens (co-auteur notamment des films de Lukas Dhont), du livre de Fleur Pierets, Julian [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Cato Kusters
fiche film
]
. Le film est montré en première mondiale à Toronto, dans la section Discovery.

Cineuropa : Comment avez-vous découvert cette histoire ?
Cato Kusters :
J’ai entendu une interview de Fleur Pierets à la radio, au moment de la sortie de son livre. C’est une oratrice incroyable, et son histoire était tellement puissante que j’ai dû m’arrêter au bord de la route, j’étais en pleurs. J’ai acheté le livre que j’ai lu d’une traite, et j’ai rencontré le jour même Fleur, qui était déjà en discussion avec The Reunion [ndlr: les producteurs du film] pour l’adaptation. Ils cherchaient une cinéaste, et venaient de voir mon court métrage. Mais moi, je venais de finir mes études de cinéma, ce n’était pas évident pour moi que je pourrais être une candidate potentielle. C’est peut-être ce qui m’a amenée là, car mes conversations au début avec Fleur étaient sincères, sans arrière-pensée.

La narration du film est à la fois complexe et fluide, elle voyage dans le temps.
La timeline est similaire dans le livre. Ce qui fonctionne si bien dans le fait de faire des sauts dans le temps, à mon sens, c’est que l’on place les moments les plus beaux et les moments les plus durs côte-à-côte. Ils se colorent les uns les autres. Les moments exaltants sont emplis d’émotions et les moments les plus douloureux d’amour. Angelo et moi avons dû tourner un moyen de raconter cette histoire de la façon la plus poignante possible, sans que ce soit dispersé en tous sens.

Cela dit aussi quelque chose de la façon non linéaire dont fonctionne la mémoire.
Quand quelqu’un de tellement proche meurt, on se sent une responsabilité de raconter son histoire correctement, en lui rendant justice. La mémoire est quelque de tellement fragile, Fleur avait vraiment peur d’oublier, c’est pourquoi qu’elle s’est mise si vite à écrire, qu’elle nous a autorisé à en faire un film. C’est une façon aussi de créer ensemble une image le plus complète possible de Julian. C’est aussi pour ça que l’on a imaginé dans le film ce disque dur qui renferme les images de Julian, auquel Fleur s’accroche comme à sa vie. C’est une façon de matérialiser ce sentiment. Conserver à tout prix son image. Le disque dur est une métaphore du cerveau, de la mémoire qui peut être endommagée.

Elles se mettent également en scène dans des images au caméscope.
Alors que nous écrivions, ces scènes tournées au caméscope se sont mises à prendre de plus en plus de place. C’est quelque chose que Fleur et Julian ont fait dans la vraie vie, elles voulaient documenter leur aventure. C’est une façon d’approcher leur intimité. Cela nous a permis de "rendre" la mise-en-scène aux comédiennes. Il y a certaines scènes au caméscope qui étaient scénarisées, mais pour d’autres nous leur avons laissé le champ libre. Je ne savais pas à quoi m’attendre, et je dois dire qu’à chaque fois que j’ai visionné ces images une fois chez moi, alors que je n’étais pas avec elles quand elles les tournaient, c’était comme de petits cadeaux. J’avais le sentiment de voir ces actrices tomber amoureuses à leur tour, ça s’est avéré très utile au montage. Ce que j’aime dans la qualité de ces images, moins nettes, c’est que ça raconte aussi que l’on est en train de voir des souvenirs, et que ces souvenirs peuvent être incomplets, défectueux. Ce n’est pas nécessairement objectif. Le film devient une sorte de collage de scènes, c’est comme ça aussi que fonctionne le cerveau. On a voulu que la texture du film ressemble à celle de la mémoire, des souvenirs.

Comment avez-vous trouvé vos actrices, Nina Meurisse et Laurence Roothooft ?
Il fallait, pour raconter cette histoire, trouver un duo dont la dynamique ressemble à celle de Fleur et Julian dans la vraie vie. Nous avons très vite trouvé Laurence Roothooft, elle avait lu le livre, et avait écrit une lettre au scénariste, Angelo Tijssens, pour lui dire que si jamais il écrivait cette histoire, elle voulait, elle pouvait être Julian ! Elle s’est très vite projetée dans le personnage. Une fois que nous avions Laurence, nous avons auditionné beaucoup d’autres comédiennes, mais au moment où elle a rencontré Nina, ça a cliqué immédiatement. Nous étions assez près du tournage, alors on a passé un week-end ensemble pour apprendre à se connaître, et ce qui est touchant, c’est que l’on pouvait les voir se trouver sur le plateau, comme leurs personnages.

C’est une histoire d’amour, et de deuil…
J’ai perdu des gens, même si pas des gens aussi proches que Fleur. Mais ce que j’appris, c’est que si l’amour se ressemble pour tout le monde, ce qu’il provoque, ce qu’il nous fait ressentir, le deuil est extrêmement différent pour chacun d’entre nous. Ce qui m’a tellement émue chez Fleur, c’est qu’elle ne se résout jamais vraiment à la mort de Julian. Sa façon de vivre avec ça, ça a été de garder Julian vivante aussi longtemps que possible après sa mort. C’est une pure résistance, et c’est quelque chose que je voulais partager dans le film. Fleur n’est pas statique dans son deuil, elle est en mouvement. C’est quelque chose que je n’avais pas l’impression d’avoir déjà vu, lu ou rencontré.

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