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VENISE 2025 Orizzonti

Akihiro Hata • Réalisateur de Grand ciel

“Mes réflexions politiques ont toujours été à la base de mon élan artistique”

par 

- VENISE 2025 : Le réalisateur japonais exerçant à Paris nous parle de son nouveau film, un drame social qui tourne peu à peu au thriller, avec Damien Bonnard dans le rôle principal

Akihiro Hata • Réalisateur de Grand ciel
(© Aleksander Kalka/La Biennale di Venezia/Foto ASAC)

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critique
interview : Akihiro Hata
fiche film
]
, Damien Bonnard joue Vincent, qui travaille de nuit sur un chantier dédié à un projet censé être révolutionnaire, sauf que pour ceux qui essaient de construire cet édifice à partir de rien, rien ne change vraiment. Pour ne rien arranger, les maîtres de chantier semblent être en train de couvrir un accident, mais comment peut-on se rebeller contre quelque chose dont on a aussi besoin pour assurer sa subsistance ? Nous avons interrogé le réalisateur japonais exerçant à Paris Akihiro Hata sur son film, présenté à Venise dans la section Orizzonti.

Cineuropa : Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce type de métiers ? Avez-vous parlé à des gens qui travaillent dans le bâtiment ?
Akihiro Hata: Je viens d’un pays où le travail occupe une place fondamentale dans la vie des gens. Il est considéré comme le socle, le pilier, voire l’identité de l'individu. C’est lui qui définit la valeur sociale, voire humaine, de chacun. Il faut être un soldat, un pion qui contribue au développement économique de la société et à son harmonie. Et c'est particulièrement vrai s'agissant des travailleurs précaires.

Je m’interroge depuis longtemps sur la question de la place du travail dans nos vies. Avant de réaliser Grand ciel, j’ai tourné deux moyens-métrages dont l’arène était déjà certains milieux professionnels, et qui s’attachaient à faire le portrait de communautés de travailleurs : les décontamineurs dans l’industrie nucléaire et les agriculteurs. Et bien sûr, comme mes moyens-métrages, Grand ciel a été informé par de nombreuses rencontres et par les dialogues que j'ai eus avec les travailleurs.

Votre film commence comme un drame social pour se muer en thriller. Aviez-vous des craintes quant à ce mélange des genres, ou est-ce que ça vous intriguait ?
Non, je n’ai pas du tout eu peur, au contraire, l'idée a été un de mes moteurs créatifs. En tant que spectateur, j’ai une admiration particulière pour les films qui mélangent les codes ou les genres, du point de vue narratif mais aussi visuel et sonore. Je trouve que ça pousse à creuser davantage la réflexion qu'on peut avoir sur ce qu'est l’expression cinématographique, car les possibilités sont infinies. Le mélange des genres a donné beaucoup de liberté au film. 

Je parle de “thriller” parce que le bâtiment sur lequel les ouvriers travaillent fait de plus en plus peur. Ce n'est pas un lieu de travail : c'est un cauchemar.
Le chantier est l’antagoniste de tous les personnages dans le film, et il évolue tout au long du film. Le béton, matière minérale, prend vie peu à peu, et le chantier semble se transformer en un lieu vivant qui se met à menacer ceux qui viennent y travailler. J’aime la notion de cauchemar, car nous avons joué sur l’ambiguïté quant au degré de réalité des événements irrationnels que le personnage vit sur le chantier. La menace dont on parle n’est pas que physique : elle est aussi mentale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le personnage de Damien Bonnard ? Il finit par passer du côté obscur, mais avant cela, on comprend les choix qu'il fait, surtout qu'il n'a pas tant que ça la possibilité d'en faire.
Vincent est un personnage confronté tout au long du film à un dilemme entre la morale et sa volonté de sortir de sa précarité. Vincent repousse toujours ses limites pour atteindre son but, jusqu’à ne plus pouvoir faire demi-tour. Il s’inscrit dans une tradition de films dont les héros sont moralement ambigus, comme Gaspard dans Le Trou de Jacques Becker, par exemple.

Je crois par ailleurs que nous portons tous un "Vincent" en nous. Dans le monde dans lequel nous vivons, régi par une économie capitaliste, nous sommes de plus en plus confrontés à cette ambiguïté morale, à différents niveaux, dans le cadre du travail. C'est la logique individuelle contre la logique collective.

D’une certaine manière, le personnage de Vincent incarne le changement structurel des industries, la diversification des types de recrutements et l’évolution des valeurs. Contrairement à ce qu'on avait avec la génération de son père, ancien ouvrier en usine qui s'est retrouvé licencié pour avoir fait le choix de se battre collectivement pour sauver les emplois menacés, chez les jeunes générations de travailleurs comme lui, l’engagement syndical rencontre de moins en moins de succès. L’individualisme semble se généraliser de plus en plus.

Aimeriez-vous voir certains changements concrets dans ce monde ? Vous semblez les appeler de vos vœux, mais vous voyez-vous vous-même comme un activiste ?
Les enjeux comme la solidarité, la cohésion ou l’entraide à l’échelle humaine me paraissent plus que cruciaux dans le monde d’aujourd’hui. L’individualisme et la logique du chacun pour soi ne nous mènent nulle part, si ce n’est vers la misère collective.

Cela dit, non, je ne me considère pas comme un activiste. Ce ne serait pas légitime de ma part de me définir ainsi, et ce serait irrespectueux vis-à-vis des activistes. Après, mes réflexions politiques ont toujours été à la base de mon élan créatif. C'est ainsi que je donne un sens à ce que je fais. Faire des films est une manière pour moi de participer aux réflexions collectives, politiques et humaines, car le cinéma a le pouvoir rendre visible l’invisible, de montrer ce qu’on ne montre pas ou qu’on préfère ne pas voir.

(Traduit de l'anglais)

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