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France / Belgique

Pierre Schoeller • Réalisateur de Rembrandt

"Les temps interrogent tout le monde"

par 

- Le cinéaste français décrypte un récit audacieux mêlant fiction et réalisme, envoutement et questionnements climatiques et scientifiques

Pierre Schoeller  • Réalisateur de Rembrandt

Lancé dans les salles françaises aujourd'hui par Zinc avec Camille Cottin et Romain Duris en tête d’affiche, Rembrandt [+lire aussi :
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est le 4e long de Pierre Schoeller.

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et tout est parti d'une rencontre avec trois tableaux et d’un ressenti personnel face à ces Rembrandt. J'avais aussi déjà un certain nombre d’intuitions citoyennes sur la crise climatique et on m'avait également approché pour un projet de série sur une affaire réelle dans le milieu du nucléaire. À l’époque, j'avais envie de faire un film très contemporain et en rentrant de Londres, dans un demi-sommeil, l’histoire a surgi : le thème du passage d'un sentiment de puissance à une position où la volonté d'être est en retrait par rapport à la force du temps que l’on vit, un changement, une inversion de position entre ce que l’on projette de sa vie, ce que l’on veut faire, et puis juste l'existence, c'est-à-dire l'ensemble des choses que l’on vit : ce n’est plus toi qui écris la vie, c'est la vie qui s'inscrit. J’avais le déclencheur de l’histoire qui était la révélation de quelque chose de très intime, à la fois très psychologique et en même temps très mystérieux parce que c'est un mélange de visible et d'invisible. Quant au nucléaire, c’est une industrie très emblématique de la France et il y avait beaucoup de choses à raconter avec l’histoire d’une femme ingénieur qui a un destin parce qu’elle croise le chemin de trois portraits de Rembrandt. Et avec un côté thriller.

La protagoniste est une chercheuse dans une industrie qui maîtrise les forces de la nature, ce qui créée un contraste fort avec cette hypersensibilité qui surgit d'un seul coup.
Oui, on est avec les énergies premières. Et le nucléaire, c'est très quotidien : dès qu’on appuie sur un interrupteur, dès qu’on envoie un mail, c'est le nucléaire qu’on sollicite. La protagoniste est scientifique, mais comme l’histoire a beaucoup de couches, avec le couple, le métier, la sensibilité, les proches, etc., c’est un personnage qui n’est pas défini seulement par ce côté scientifique. C'est plus un trait de caractère, une manière d'appréhender les choses car elle et son compagnon ont consacré au nucléaire presque toute leur vie. Ceci étant, je me suis évidemment documenté en amont. J'ai rencontré des professionnels du nucléaire et des climatologues, et l’intuition que j'avais s'est confirmée : les temps interrogent tout le monde. Très peu de personnes sont dans un déni intime avec ce que l'on vit tous, cette incertitude, ces questionnement politiques, climatiques, scientifiques. Nous sommes tous interpellés, dérangés.

Claire est une héroïne et elle nous entraîne dans l'histoire. C'est un personnage qui vit une forme de mystère, un trajet très intuitif. Mais le film aborde aussi la pensée technologique, la pensée de la modélisation, la pensée du chiffre, la pensée de la prédiction : comment une société se projette et s'appuie sur des technologies pour exister. Et ce qui vacille dans le film, c'est cela aussi. Claire est également un personnage de l'intérieur : ce n’est pas une journaliste ou un politique débarquant dans le nucléaire, et il ne s’agit pas d'un incident de centrale. Avec elle, on est au cœur du système, et c'est le cœur du système qui bouge, qui commence à turbuler. Les scientifiques sont sur la ligne de front, exposés, et beaucoup d’ailleurs se posent des questions en ce moment sur ce qu'ils doivent faire, sur leur positionnement, par rapport à l'institution, à leurs recherches, à la vie civile.

Le côté mystérieux, cette "illumination" de Claire face aux tableaux de Rembrandt, c’était pour rendre plus "digeste" ces questionnements très sérieux qui nous concernent tous ?
D’abord c'est très romanesque. Ensuite, cela fait intervenir la présence de l'art dans nos vies. En tous cas, ce n’était pas pour créer de l’obscurité ou pour sous-entendre qu’y a un génie invisible quelque part. Pour moi, c’était plutôt très charnel. Les trois visages de ces trois tableaux, je les ai traités comme un personnage un peu off du visible, mais c'est quelque chose que Claire ressent viscéralement. C'est un peu le fantastique du XIXe siècle avec Barbey d’Aurevilly, Henry James. C'est une forme de possession, mais au lieu de détruire, de coloniser tout l'être, c'est une possession qui l'enrichit, qui l'emmène quelque part. Donc c'est une forme d'envoûtement, de charme. Cela me permettait aussi d'avoir deux pôles : un très fictionnel et un réaliste, actuel, avec des références à l’Ukraine, à Zaporijia, au plan Macron pour le nucléaire, au prédictions climatiques, etc. Ce n’est pas une attaque frontale du nucléaire, mais y a une discussion quand même, que j'ai essayé de rendre aussi vivante et informée que je pouvais.

Quid des scénarios des "extrêmes des extrêmes" climatiques et de leurs conséquences potentielles sur l’industrie nucléaire ?
Je voulais que cela soit concret, qu'on visualise les choses. J’ai écrit ça avec la collaboration de Davide Faranda qui est aujourd'hui rédacteur du GIEC et que j'ai rencontré au laboratoire du climat. Ce n’est pas pour être anxiogène et pour dresser un paysage apocalyptique, mais dans la démarche de savoir avec quoi on se mesure. Car on ne peut pas attendre, d'autant plus que les choix de société, et c'est pour cela que le nucléaire est intéressant, sont des choix à long terme, sur deux ou trois générations.

Est-ce un film lanceur d'alerte ?
Ce qui m'intéressait le plus, c’est comment on va être amené à changer. Ce thème de l'évolution est central dans le film. C'est un vrai courage de se déplacer d'un pas dans la vie, car ensuite tout est déplacé et cela a des conséquences partout. Si l’on dit que Claire est une lanceuse d’alerte, on réduit son parcours à un message. Elle communique l'état de ses recherches, mais ce n’est pas son but. Son but, c’est de changer, de prendre un chemin qui n’est même pas une position, mais une dynamique car elle avance sans plan, ni méthode. C'est là où l'aspect fictionnel de l'envoûtement est de l'ordre d'une attitude politique extrêmement particulière dont je ne sais même pas d’ailleurs si elle existe. Cela me rappelle Feuillets d'Hypnos de René Char qui était frappé de voir arriver dans le maquis des jeunes hommes de 20 ans qui n’étaient absolument pas politisés, mais qui, du jour au lendemain, engageaient leurs vies dans la Résistance. Claire, c’est un peu grâce à sa rencontre avec les Rembrandt qu’elle le fait. Et autour d’elle, on doit se positionner.

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