Isabelle Fauvel • Directrice, Silence&Conversation
“Le terrain sensoriel nous a conduits naturellement à parler images, son, et mise en scène, la grande oubliée des discussions actuelles en période de développement”
par Cineuropa
- La professionnelle du cinéma nous en dit plus sur Cook Your Project, un programme novateur qui mélange cuisine et écriture pour le cinéma

La professionnelle du cinéma Isabelle Fauvel nous en dit plus sur Cook Your Project, un programme novateur qui mélange cuisine et écriture pour le cinéma.
Cineuropa : Vous êtes connue pour avoir anticipé très tôt l’importance du développement avec Initiative Film. Avec Silence&Conversation, vous proposez une nouvelle étape. Qu’est-ce qui vous a poussée à franchir ce cap aujourd’hui ?
Isabelle Fauvel: En effet, en 1993, j’ai créée une société consacrée au développement au sens large. Cette nouvelle étape est liée à l’évolution du métier et plus généralement de la société qui a fait de la culture un produit comme les autres, poussant les talents vers plus de conformisme, y compris dans leur apprentissage du métier. Dès lors, il m’a semblé nécessaire de revoir les codes de la transmission en tenant compte de tout ce que j’ai pu observer ces dernières années. Cook your project est le premier-né de cette réflexion.
Cook Your Project mêle cuisine et écriture de film. Qu’espériez-vous provoquer chez les participants en les emmenant sur ce terrain sensoriel ?
Une façon différente d’appréhender leurs blocages éventuels, de lutter contre une lassitude à revoir encore et encore leur script sans pour autant pouvoir parler de leur vision, une réflexion plus ouverte sur la notion de partage d’expérience, la convivialité ici passant par faire la cuisine ensemble et non par des exercices pratiqués en école de commerce, comme c’est devenu le cas dans certains dispositifs d’accompagnement. Et cela a marché, la notion du partage des tâches par exemple entre un co-scénariste et un auteur ou une autrice/un réalisateur ou une réalisatrice s’est révélée en cuisine comme une compréhension immédiate de ce qui doit guider une co-écriture.
Le terrain sensoriel nous a également conduits naturellement à parler images, son, et bien sûr mise en scène, la grande oubliée des discussions actuelles en période de développement. J’ai pu partager mon propre rapport à la cuisine et ce que j’ai étudié de son évolution. Tisser un parallèle avec nos métiers a favorisé chez les participants une prise de conscience que nos pratiques et philosophies avaient beaucoup en commun. Ouvrir le workshop avec les mots de Maria Nicolau dans l’édition française de Cuisine ou Barbarie sont en ce sens des plus explicites : “Que nous arriverait-il à nous êtres humains, si nous décidions de ne plus être des créateurs de richesse culinaire, mais de nous convertir plutôt en consommateurs de plats préparés ?” Il suffit de remplacer les mots “culinaires” et “plats préparés” pour que cette question soit pertinente pour toute personne qui tente de faire du cinéma.
Vous insistez sur la nécessité de résister à la standardisation des récits. Selon vous, quels sont les leviers les plus efficaces aujourd’hui pour préserver la singularité des voix et des formes au cinéma ?
Question difficile, je n’agis qu’à mon humble niveau, mais je pense que tout commence par une prise de conscience. Or, ce qui est objecté aux talents, lors de certaines commissions par exemple, n’a rien à voir avec ce dont les films à venir ont besoin. Au contraire, on les renvoie au mieux à des règles de dramaturgie rabâchées parfois même de façon scolaire, au pire à des principes moralisateurs qui s’apparentent à une forme de censure contre laquelle il est difficile de lutter. Ainsi, la forme et le fond sont attaqués comme dans une tentative qui n’ose pas dire son nom de normalisation des écritures.
Si on honore à juste titre des cinéastes comme Lynch, Tarkovski, Angelopoulos, Pasolini, Eustache… pour ne citer qu’eux, il est clair qu’aujourd’hui, ils ne trouveraient pas de financement. Pour ma part, si je devais co-produire aujourd’hui Léolo, le film de Jean-Claude Lauzon avec lequel j’ai arrêté ma carrière de productrice, je sais que, sur la base du script, je me ferais bouler de partout… Or, le film était en compétition officielle à Cannes…
Alors oui, il y a toujours des miracles comme Alice Rohrwacher ou Oliver Laxe, mais au regard du nombre de films produits chaque année, leur originalité tant sur la forme que sur le fond, ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt.
Comment avez-vous vécu l’expérience de ce premier séminaire?
Contrairement à quand j’ai créé AdaptLab pour le TorinoFilmLab grâce à l’enthousiasme de Savina Neirotti, j’ai eu ici le sentiment de sauter sans filet dans la marmite puisque les choses se sont montées hors les clous. Mais j’ai vécu cette première expérience avec l’appétit qu’il se doit, ravie d’avoir trouvé en Catherine Paprocki la partenaire idéale en cuisine qui accompagne parfaitement cet élan, réjouie de voir ce que cela a concrètement apporté aux 4 premiers participants et j’en suis sortie avec de nouvelles idées et des variantes.
Car, en matière de cuisine comme en matière de cinéma, il faut se méfier des formules à répétition, des menus uniques, des modes de sorte à s’adapter à des univers, des imaginaires, des spécificités culturelles de narration, des moments de carrière différents. Nous mijotons déjà les 4 saisons de Cook your project, mais aussi une formule d’un weekend entre producteurs, productrices, réalisateurs et réalisatrices pour cuisiner ensemble un repas et un projet, et surtout un atelier pour les étudiants en cinéma dont il sera question en 2026.
(Traduit de l'anglais)
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