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Allemagne

Mascha Schilinski • Réalisatrice de Les Échos du passé

"Raconter le regard porté sur les femmes pendant une centaine d’années"

par 

- Rencontre avec la cinéaste allemande, prix du jury à Cannes et candidate de son pays pour le prochain Oscar du meilleur film international

Mascha Schilinski  • Réalisatrice de Les Échos du passé
(© 2025 Fabrizio de Gennaro pour Cineuropa - fadege.it, @fadege.it)

Présente à Paris où le film qui l’a révélée au monde entier, Les Échos du passé [+lire aussi :
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interview : Mascha Schilinski
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, a fait l’ouverture du 30e Festival du Cinéma allemand (lire l’article), Mascha Schilinski a décrypté pour Cineuropa une œuvre fascinante, récompensée à Cannes, en campagne pour les Oscars et que Diaphana lancera dans les salles françaises le 7 janvier prochain.

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Cineuropa : Comment est née l’idée d’un film associant un lieu, une ferme de l’Altmark, à un récit sur plus d’un siècle ?
Mascha Schilinski :
Avec ma co-autrice, Louise Peter, nous nous posions des questions sur la façon dont les événements s’inscrivent dans notre corps à travers le temps, sans qu’on n’y ait plus accès. Il y a des événements qui se sont passées longtemps avant notre naissance, liés à des moments de honte par exemple, une honte si grande qu’on ne peut même pas en parler sur son lit de mort et qui s’inscrit dans notre corps. Nous avons pensé tout d’abord que ce n’était pas un sujet forcément cinématographique, qu’il fallait peut-être en faire une installation sonore ou écrire un roman, jusqu’au moment où nous sommes arrivées dans cette ferme qui était abandonnée depuis 50 ans. Là, tout d’un coup, nous avons eu l’impression d’avoir trouvé un réceptacle dans lequel nous pourrions montrer tous les échos de ces temporalités.

Comment avez-vous développé le scénario et choisi les quatre périodes qui tissent le film ?
Cette ferme a été bâtie en 1904, mais pour des questions de production, nous ne pouvions pas filmer sa construction. Nous avons donc décidé de laisser vivre la famille de cette ferme une dizaine d’années et de débuter la narration à ce moment-là, vers 1914. Ensuite, nous avons systématiquement sauté une ou deux générations afin que les personnages de chaque partie n’aient pas pu connaître ceux des générations qui les avaient précédés. C’était très important pour voir justement ce qui s’inscrit dans le corps et ce qui crée ces résonances une fois qu’on ne connait plus les personnes qui nous ont précédées. C’est ainsi que s’est structurée cette suite de séquences : les années 1910, les années 1940, les années 1980 et notre époque. L’écriture du scénario a pris presque quatre ans.

Pourquoi avoir choisi des personnages centraux féminins ?
Au départ, nous avions aussi des protagonistes masculins et nous n’avions pas du tout l’intention de créer un film dans une perspective féminine. Mais pendant nos recherches sur une région pour laquelle la documentation est assez mince, nous sommes tombées sur deux livres dans lesquels deux femmes racontent le paradis perdu de leur enfance. Au détour de ces récits, certaines petites phrases, amenées comme si de rien n’était, nous ont intriguées, comme "nous avons dû faire en sorte que la servante ne soit plus dangereuse pour les hommes" ou une domestique qui disait "j’ai vécu pour rien". Ces phrases nous ont choquées et beaucoup touchées. Nous avons essayé de comprendre ce qui se cachait derrière et, petit à petit, nous sommes arrivées à cette idée de vouloir raconter le regard porté sur les femmes pendant une centaine d’années.

Quels ont été vos partis-pris visuels et sonores pour retranscrire à l’écran cette perception sensitive du passé ?
Le souvenir est très peu fiable. Nous avons des souvenirs et l’imaginaire travaille avec ces souvenirs, créée en quelque sorte des faux souvenirs. En même temps, toute notre identité se construit sur ces souvenirs. Un simple exemple : nous sommes ici, emprisonnés dans nos corps et quand nous nous souvenons de cette situation, nous nous voyons nous-mêmes, donc nous avons immédiatement à l’esprit des images qui n’ont pas pu exister telles quelles pour nous, en tant qu’individus. Nous nous sommes donc interrogés avec mon directeur de la photographie Fabian Gamper sur la manière de représenter ces souvenirs inaccessibles, un peu comme le visage d’un mort qu’on n’arrive plus à recomposer dans notre imaginaire. Nous avons travaillé avec de vieux objectifs et essayé de trouver des solutions techniques. Quant au son, j’y avais pensé dès le scénario et nous y avons réfléchi en nous posant des questions comme "quelle est la sonorité un trou noir ? Des étoiles ? Ou 1000 mètres sous l’eau ?". C’est à partir de ces questions que nous avons construit le son car souvent, les personnages féminins regardent la caméra, mais on ne voit pas ce qu’elles voient. Elles voient le monde, et le monde, l’univers, répondent justement avec ces sons.

Jusqu’au vouliez-vous aller dans les zones d’incertitudes, les non-dits, le hors champ ?
Je ne me suis imposée aucune règle stricte, mais je me suis toujours demandée très précisément à qui appartient une scène, qui la regarde, dans quelle perspective elle est vue et à qui appartient le souvenir. Je me suis aussi intéressée aux images qu’on ne pouvait pas voir et qui sont peut-être encore plus importantes dans le film que celles que l’on voit. C’est comme si les personnages allaient fouiller leur matériau intérieur à la recherche d’une pièce d’un puzzle qui leur expliquerait d’où vient leur douleur ou leur honte. Évidemment, ils ne trouvent pas cette pièce. En revanche, ils trouvent autre chose qui explique peut-être les secrets dont ils sentent la présence.

Un film en noir et blanc, un récit en quatre chapitres sur un siècle : le financement a-t-il été facile ?
(rires) Cela a été à la fois pas facile du tout et en même temps facile quand même. D’abord, le film était officiellement considéré comme un premier long métrage (car Dark Blue Girl [+lire aussi :
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était mon film de fin d’études en école de cinéma), et pour les premiers longs, il y a des soutiens spécifiques. Le projet était très ambitieux, mais j’avais la chance d’avoir le lieu de tournage. Et les habitants du village m’ont incroyablement aidée : ils ont mis à ma disposition des matériaux, ils ont fait de la figuration, la doyenne a traduit des textes dans un dialecte de la région qui n’existe même plus. Ce film a aussi été fait comme ceux que l’on réalise en école de cinéma avec une équipe formidablement dévoué. J’ai également été soutenue dès le départ par la ZDF et son programme Das kleine Fernsehspiel dédié à des oeuvres un peu expérimentales. Ensuite, il y a des aides qu’on a obtenues et d’autres non. Mais le scénario a gagné, dans le cadre de la Berlinale, un prix prestigieux en Allemagne, ce qui a permis au projet de bénéficier d’une attention qui a certainement aidé au financement.

Une sélection en compétition à Cannes, un prix du jury et maintenant une campagne comme candidat allemand au prochain Oscar du meilleur film international. Et la suite ?
Je ne sais pas. Je continue à travailler dans la mesure du possible avec ces tournées énormes. Toute cette attention, c’est un immense cadeau pour toutes les personnes qui ont oeuvré si longtemps sur ce film. J’espère que cette attention va nous ouvrir des portes pour continuer à chercher des formes de narration innovantes.

En collaboration avec

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