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RENCONTRES L’ARP 2025

Marie Masmonteil • Productrice, Elzévir Films

"La maison brûle un peu moins que ce que nous avions craint, même s’il y a des départs de flammes"

par 

- Canal+, Disney+, Netflix : la présidente du bureau long métrage du Syndicat des Producteurs Indépendants décrypte le nouveau panorama du financement du cinéma français

Marie Masmonteil  • Productrice, Elzévir Films

Marie Masmonteil qui pilote Elzévir Films avec Denis Carot, est aussi présidente du bureau long métrage du Syndicat des Producteurs Indépendants (SPI). Elle délivre un premier bilan de la nouvelle configuration des financements du 7e art dans l’Hexagone à l’occasion des 35es Rencontres Cinématographiques de L'ARP qui se déroulent au Touquet-Paris-Plage.

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Cineuropa : La structure du financement de la production cinématographique français via les préachats a changé en début d’année, avec une baisse significative des engagements de Canal+ (lire l’article). Depuis, la filière bruisse de rumeurs de tensions. Qu’en est-il exactement ?
Marie Masmonteil : Ce qui est intéressant, c'est d'avoir des données objectives et j'ai l'impression qu'il y a plus de ressenti que de réalité. En termes de volume (avec une clause de ce type pour la première fois), Canal doit investir cette année 150 M€ pour 80 films, mais si l’on enlève les premières fenêtres Ciné+ OCS (18 films), cela ne fait que 62 films Canal+. Évidemment, quand on rapporte cela à 2024 qui était une année exceptionnelle à 130 films sur lesquels Canal+ était intervenu, c’est quasiment une réduction de moitié. Cependant, d’abord en moyenne annuelle, Canal+ était auparavant plutôt autour de 115 films. Ensuite, quand on examine les chiffres de l'agrément des investissements jusqu'à mi-septembre, Canal+ est déjà au-dessus de 62 films, donc on peut imaginer qu’en fin d’année, on arrivera à 70-75, donc largement au-dessus de leurs obligations en termes de volume. Tant mieux, même si évidemment Canal+ investit dans beaucoup moins de films qu’avant.

Cette année est aussi extrêmement atypique, ce qui explique le ressenti, parce que Canal+ avait arrêté de faire des comités de novembre 2024 à quasiment mars 2025, ce qui a eu des effets collatéraux. Par exemple, chez Elzévir Films, le fait que nous ayons dû attendre juin pour avoir un chiffrage Canal+ pour Tu me diras de Radu Mihaileanu (news) nous a empêchés de déposer en avril un dossier Eurimages. Et les préparations des tournages ont duré plus longtemps, ce qui a coûté plus cher, etc.

Est-ce que la réduction du nombre de préachats Canal+ impacte la typologie des films financés ?
Quand le SPI a rencontré Laurent Hassid (directeur des acquisitions cinéma de Canal+) à Cannes, il nous a dit qu’il comptait garder une ligne éditoriale assez fluide sur l'ensemble du spectre de la production cinématographique, entre les films sous la clause de diversité (à moins de 4 M€) et ceux au-dessus avec les différentes tranches de budget (4-6 M€, 6-8 M€, plus de 10 M€ et au-dessus de 20 M€). Mais il y a quand même un élément à souligner : auparavant, Canal+ était quasiment seul avec la concurrence très relative d’OCS et organisait le marché en évitant d’investir plus de 3M€ par film. Maintenant, Canal+ se retrouve en concurrence sur certains films avec Disney+ surtout et avec Netflix (qui avait plutôt tendance à prendre parfois des secondes fenêtres, comme pour L'amour ouf [+lire aussi :
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). Cela fait donc monter les enchères car Canal+ a besoin d’avoir des films importants. C’est un peu moins le cas avec Amazon Prime même si ce dernier avait quand même préacheté en première fenêtre Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
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. Disney+ est devenu le vrai concurrent de Canal+ car il ne peut plus y avoir de combinaison Canal+/Disney+ en première et deuxième fenêtre car la fenêtre Disney+ (9 mois après la sortie en salles) empièterait trop sur la fenêtre Canal+ (six mois après la sortie salles), alors qu’il peut y avoir des films Canal+/Netflix (15 mois après la sortie), Canal+/Amazon (17 mois) ou Canal+/HBO Max (17 mois).

Quid justement des premières conséquences de l’accord entre le cinéma français et Disney+ (news) ?
L'espoir de la Task Force qui a négocié, c’était de se dire qu’il y aurait moins de films préachetés par Canal+, mais qu’il y en aurait plus chez Disney+ (de fait il y en aura 23, majoritairement des premières fenêtres) et que le chiffre d'affaires de Netflix n’allait pas s'arrêter de monter (l'année dernière, ils ont investi dans 18 premières fenêtres), donc que cela allait se répartir. Au SPI, nous considérons toujours Canal+ comme notre partenaire privilégié car ils préachètent des films sur l’ensemble de la chaîne, ce qui n'est pas complètement le cas de Disney+ qui s’engage en première fenêtre sur des films au deux bouts de l'omelette : à moins de 4 M€ car ils sont obligés d’appliquer la cause de diversité et des gros films au-dessus de 7M€. Il n'y a pas de films du milieu chez Disney+ et nous devons leur en parler. Quand la Task Force a négocié avec Disney+, il y avait cette idée intelligente d’introduire pour la première fois une clause de volume annuel de préachats afin de limiter le risque que leurs investissements ne se concentrent que sur des gros films que Disney aurait subtilisé à Canal+. Mais maintenant, on constate que Disney a un peu contourné cela en s’engageant par exemple sur des documentaires très peu chers, ce qui leur permet de préacheter des films beaucoup plus chers par ailleurs. Pour l’instant, leur politique semble s’orienter vers des films assez commerciaux comme Le Fantôme de l’Opéra d’Alexandre Castagnetti (news), Le Rêve américain d’Anthony Marciano (article), LOL 2.0 de Lisa Azuelos, Si tu penses du bien de Géraldine Nakache.

Cela met-il en risque le financement des films du milieu qui sont les fleurons du cinéma d’auteur français ?
Nous avons étudié les chiffres de l’agrément des investissements cette année jusqu’en septembre pour la production française (coproductions minoritaires incluses). Sur 227 films, il y en a 47 à moins de 1 M€ de budget (dont 27 documentaires), 86 entre 1 et 4 M€ (29 entre 1 et 2M€, 29 entre 2 et 3 M€ et 28 entre 3 et 4 M€), 24 entre 4 et 6 M€, 27 entre 6 et 8 M€, 25 entre 8 et 12 M€, 12 entre 13 et 20 M€, et 5 au-dessus de 20M€. Nous pensions qu’il y aurait beaucoup de films en dessous de 4 M€ à cause de la clause de diversité et un risque que cela s'envole beaucoup au-dessus de 7 M€. Mais finalement, cela se répartit à peu près harmonieusement pour l’instant, contrairement au ressenti.

La maison du financement du cinéma français ne brûle donc pas ?
Disons que la maison brûle un peu moins que ce que nous avions craint, même s’il y a des départs de flammes. C’était logique de faire rentrer les plateformes dans le système du financement, mais cela crée une concurrence qui est un peu anarchique en dépit des clauses de volume. En plus, Amazon et Netflix ne sont pas contents et attaquent la chronologie des médias. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes, mais pour certains films et certains cinéastes déjà bien identifiés, avec les nouvelles combinaisons d’engagements, en particulier quand Netflix investit en deuxième fenêtre, le financement global peut même largement supérieur à ce qu’il était qu’avant.

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