Marie-Elsa Sgualdo • Réalisatrice de À bras-le-corps
"Raconter à quel point la prise d’autonomie et d’indépendance a été compliquée à acquérir pour les femmes"
par Fabien Lemercier
- La cinéaste suisse revient sur l’aventure de son premier long métrage, un film d’époque retraçant l’émancipation courageuse d’une très jeune femme pendant la Seconde Guerre mondiale

Après des courts-métrages remarqués (notamment à Locarno et à la Quinzaine des Réalisateurs), Marie-Elsa Sgualdo s’est lancée dans le long-métrage avec À bras-le-corps [+lire aussi :
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fiche film], dévoilé à Venezia Spotlight et en compétition au 26e Arras Film Festival.
Cineuropa : Un film d’époque plongeant en 1943, c’est relativement audacieux pour un premier long métrage. D’où est venue l’idée ?
Marie-Elsa Sgualdo : Quand je commence à écrire un film, je suis guidée par une voix intérieure, une voix de femme qui me pose des questions. Pour ce film, ces questions poursuivaient certaines réflexions abordées dans mon court-métrage On ne peut pas tout faire en même temps, mais on peut tout laisser tomber d'un coup (You Can’t Do Everything at Once, but You Can Leave Everything at Once). Avec Nadine Lamari, la co-scénariste du film, nous avons remonté le temps (à travers les témoignages) pour raconter à quel point la prise d’autonomie et d’indépendance a été compliquée à acquérir pour les femmes. Car même si les droits ont évolué, il reste encore beaucoup d’aspects de servitude à déconstruire, ce sont des acquis menacés, non définitifs qui sont loin d’être gagnés. Le personnage principal d’Emma s'est accroché à nous et nous avions envie de la défendre jusqu'au bout, coûte que coûte, car elle nous rappelait sans cesse que rien n’est gagné, que l’indépendance à un coût, qu’il faut continuer à se battre. Nous nous disions aussi que beaucoup de femmes se reconnaîtraient en Emma parce qu’elles luttent depuis toujours. C'était important pour nous que le parcours d'Emma, sa prise de conscience plus ou moins consciente, transmette une forme de courage, celui de se rapprocher de soi-même tout en réalisant ce qui se passe autour de soi.
Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet de la condition féminine à travers le personnage principal d’Emma, une adolescente de ses 15 à ses 17 ans ?
Emma passe d’un état de naïveté à une sorte de prise de conscience politique, aux prémices d'un engagement. À l’adolescence, on essaye de correspondre à ce que l'on attend de nous avant de remettre en question l'ordre établi. C'est cette évolution entre une jeune femme et une femme que je voulais montrer, à quel point elle se métamorphose. Ce sont les prémices d'une indépendance et c’est très difficile, d’autant plus que le contexte est très particulier puisque c’est la guerre. Mais c’est surtout une quête de la fidélité à soi-même : essayer de garder ce que l’on a de plus précieux au fond de nous, c'est-à-dire notre humanité.
Ce cheminement intérieur, une histoire très individuelle qui pourrait arriver à n'importe quelle femme, à n'importe quelle époque, entre en résonance avec la grande Histoire.
Le contexte particulier de la Suisse durant la seconde guerre nous permettait d'évoquer le principe de neutralité. Qu'est-ce que cette neutralité implique dans le quotidien des gens, que se passe-t-il quand on ferme les yeux sur la réalité ? Emma, elle, n'arrive pas à être neutre, elle veut préserver sa dignité et celles des autres. Cela nous semblait être le reflet de de l'époque contemporaine, dans la question de l'Europe par rapport aux questions migratoires, ainsi que de la neutralité de la Suisse dans son rapport aux conflits armés contemporains. Au-delà de cela, c'est une période décisive dans notre rapport au monde, un temps durant lequel on a perdu notre capacité d'empathie, notre humanité. C'est une manière de se rappeler qu'aujourd'hui rien n'est gagné, qu'il faut aussi continuer à se battre pour la dignité, l'entraide.
Comment avez-vous découvert la jeune actrice française Lila Gueneau qui interprète Emma ?
Dans le court-métrage Massacre de Maïté Sonnet. Dès que je l’ai vue, je savais que c’était elle qui devait incarner Emma. Elle avait aussi l'avantage aussi d'avoir déjà tourné dans un long-métrage, puis dans deux avec Eat The Night [+lire aussi :
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interview : Caroline Poggi et Jonathan…
fiche film]. Car je cherchais cette jeunesse, mais aussi quelqu’un qui avait une expérience cinématographique car c'était aussi mon premier long et je devais être certaine de pouvoir compter sur elle du début à la fin. Lila est extrêmement franche, authentique, et j'avais vraiment besoin d'une personnalité de ce type pour incarner Emma.
Quels ont été vos partis-pris en termes de mise en scène ?
Je voulais être au plus proche d'Emma, qu’on la sente presque respirer, penser, être au-delà des mots, dans la corporalité, dans le visage, les regards, le silence. Il y a un rendu quasiment contemporain en ce sens parce qu'on a l'impression qu'elle est proche de nous. Le film d'époque, c’est qui me faisait le plus peur. J'avais envie qu'on oublie que c'était un film d’époque pour être pleinement avec le personnage. Mais j’ai également fait très peu de plans larges à cause des limites du budget du film.
Le film associe en production la Suisse, la Belgique et la France. Comment est-ce que cela s’est agencé ?
Dès le départ, l’idée était une coproduction entre ces trois pays et en Suisse, la RTS s’est engagée en coproduction. Comme ma productrice (Elena Tatti de Box Productions) avait de très bons rapports avec Julie Esparbes (Hélicotronc), cela a été facile avec la Belgique. Cela a été en revanche très difficile de garder la France (Fabrice Préel-Cléach de Offshore) car la concurrence y est très rude, mais nous y avons obtenu le soutien de la région Bourgogne-Franche-Comté. Tout le processus a été très long.
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