Jean-Benoît Ugeux • Réalisateur de L’âge mûr
"La famille, c'est vraiment le fil rouge de tout mon travail"
par Aurore Engelen
- Le comédien et cinéaste belge nous parle de son premier long métrage de fiction, le portrait sensible d’un homme dont la petite vie bien cadrée est remise en question

Le comédien et cinéaste belge Jean-Benoit Ugeux a présenté en avant-première mondiale au Arras Film Festival son premier long métrage de fiction, L’âge mûr [+lire aussi :
critique
interview : Jean-Benoît Ugeux
fiche film]. Il dresse le portrait sensible et délicat de Ludovic, architecte cinquantenaire dont la petite vie bien cadrée est remise en question lorsqu’il rencontre les filles de sa nouvelle amoureuse, notamment une adolescente revêche mais hyper lucide, qui va l’amener à envisager son un nouvel angle son rapport à l’existence en général, et aux autres en particulier.
Cineuropa : Qu’est-ce qui est au coeur du film ?
Jean-Benoit Ugeux : Ce que j'ai envie de dire ou de raconter je crois, c'est que tout est une question de point de vue. Ludovic, c'est à la fois un vieux mâle blanc de cinquante ans, un peu hors sol, qui ne comprend pas du tout la réalité moderne, quelqu'un qui est complètement perdu face à un monde qui change et qui ne connaît pas les outils pour s’adapter, quelqu'un qui n'a pas réglé ses comptes avec le passé, qui se dit que sa vie aurait pu être autre s’il s’était posé certaines questions plus tôt… Montrer un personnage aux multiples facettes.
Ludovic à la cinquantaine, mais sa confrontation avec une adolescente va faire ressortir son immaturité.
Je voulais qu’avec leur rencontre, lui rajeunisse et elle grandisse, qu’ils se retrouvent au milieu du chemin, et puis qu'après ça, chacun continue sa route. Il est clair que cette adolescente le pousse à se confronter à lui-même, à des choses plus questionnantes que ce que peuvent le faire des gens de son âge. Ludovic est tout le temps dans la fuite, c'est pour ça qu'on a voulu en faire un architecte, il passe son temps à construire la maison des autres, mais lui ne s’en est pas vraiment construite une. On ne le voit jamais habiter nulle part, il est tout le temps en mouvement. Il a une espèce de vie très libertaire, c’est clairement un personnage de droite, enfin, qui a réussi, qui a joui, qui s'est amusé et puis qui d'un coup se dit qu’il est peut-être passé à côté de quelque chose.
Il est sans cesse en mouvement, et paradoxalement, le film le saisit dans des moments d pause, d’attente, de silence, à côté de l’action.
Il est contraint de se poser, mais on sent qu'il n’a pas les outils pour. Plus le film avance, plus il y a ces moments de pauses, il s'arrête sur le bord d'une route, il n'a pas d'endroit de quiétude. Comme c'est un personnage qui est assez volubile, qui force le récit, c’était une façon d’imposer du recul. J’avais écrit ces moments "volés", où on l’observe, je ne voulais surtout pas qu’ils soient sacrifiés sur le plateau, les faire si on a le temps, et au final, on les a presque tous utilisés. Ils étaient très importants pour aérer la narration.
Vous le filmez souvent en plans larges, comme un entomologiste.
Il y a quelques plans plus rapprochés, mais c'est vrai que ce sont souvent des plans larges, dans un univers très urbain, où il est un peu perdu. Ludovic est omniprésent, de tous les plans, mais cinématographiquement, il fallait réussir à s'éloigner. Je n'aime pas beaucoup les gros plans, c’est assez rare que j'en utilise, ce n’est pas ma grammaire. Ici, on finit par se demander s’il ne commencerait pas à se fondre dans le décor, à se diluer.
Les plans sont également très peu découpés.
Oui, c’est un langage que j’apprécie, et qui va un peu à rebours de ce qu’on attend aujourd’hui d’une comédie, où l’on veut que le rythme soit hyper soutenu. On a essayé de mettre en place quelque chose de plus tenu, une sorte d’humour du désespoir, avec ce gars maladroit dans ses gestes comme dans ses intentions. Et puis je suis comédien aussi, et j’aime beaucoup laisser les acteurs vivre sur le plateau, c’est très important pour moi par exemple que les dialogues se chevauchent, comme dans la vie. Peu découper, c’est aussi offrir moins de contraintes pour le jeu.
Quelles sont les origines de cette histoire ?
Presque tous mes films parlent de la famille, c'est vraiment le fil rouge de tout mon travail. Quand j'ai commencé à l'écrire, je n'avais pas d'enfant et entre temps j'ai une petite fille, mais j'aimais vraiment bien cette idée de se dire que parfois, on va rencontrer quelqu’un qui va venir combler un endroit, un trou laissé par l'autre. Un personnage avec une béance dont il ne se rend même pas spécialement compte, mais qui va lui être révélée par une autre.
Il y a aussi une question de transmission ?
Ce qui fait que le personnage n'était pas complètement accompli, c’est l’absence de la transmission dans sa vie, de la part de son père, comme de la sienne. On s’est amusé à en faire un personnage qui offre sans cesse des cadeaux, de plus en plus disproportionnés, à défaut de savoir comment offrir quelque chose. Il va comprendre qu'il peut aussi donner autre chose à quelqu’un, être à l’écoute.
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