Eamonn Murphy • Réalisateur de Solitary
"Le personnage de Brendan est à l'opposé de ce que toutes les théories sur l'écriture de scénario préconisent"
par Fabien Lemercier
- Le cinéaste irlandais raconte l’aventure de son premier long métrage, vainqueur de l’Atlas d’or - Grand prix du jury à Arras

Solitary [+lire aussi :
critique
interview : Eamonn Murphy
fiche film] a été distingué comme meilleur film indépendant irlandais au Festival de Galway et a triomphé au 26e Arras Film Festival en remportant l’Atlas d’or - Grand prix du jury. Une réussite dont Cineuropa a discuté avec le cinéaste et producteur irlandais Eamonn Murphy dont c’est le premier long métrage.
Cineuropa : Quel a été le point de départ du scénario qui entrecroise trois isolements, celui de la campagne, celui de vieillesse et celui intériorisé d’un personnage qui ne sait pas exprimer ses sentiments.
Eamonn Murphy : L'Irlande est le troisième pays d'Europe où le nombre de cambriolages en milieu rural est le plus élevé et dans les journaux ou à la télévision, j'ai souvent vu ou entendu parler de personnes victimes de cambriolages à leur domicile. Je viens de la ville, de Dublin, mais j'ai de la famille à la campagne et j’y allais chaque été. L'idée initiale du film m'est venue alors que je sortais de chez moi à la campagne : il n'y avait ni éclairage public, ni bruit, et j’ai réalisé à quel point j'étais seul. À l'université, quand j'étais étudiant en cinéma, j'ai commencé à écrire une histoire qui comporte un élément de peur, presque comme un film d'horreur, mais pas tout à fait. Ce sentiment d'être seul à la campagne me semblait valoir la peine d'être exploré. Mais il m'a fallu beaucoup de temps pour peaufiner le scénario. Tout a commencé à prendre sens quand je l'ai réécrit et que j'ai changé le personnage de Brendan. Aussi étrange que cela puisse paraître, il est à l'opposé de ce que toutes les théories sur l'écriture de scénario préconisent. Tout le monde dit que votre personnage doit être actif, faire avancer l'intrigue, prendre des décisions et faire évoluer l'histoire. C'est ce que j'essayais de faire au tout début, avec un personnage un peu à la Clint Eastwood. Et puis je me suis dit : "en fait, je ne connais aucun homme comme ça, alors pourquoi ne pas faire exactement le contraire ?" Je l'ai donc rendu passif, timide, doux. L'idée de faire du mal à quelqu'un ou à un animal lui fait horreur. Cela le rend beaucoup plus vulnérable et sympathique aux yeux du public, qui s'attacherait davantage à lui.
Comment avez-vous équilibré le portrait réaliste des affres de la vieillesse (le veuvage, la solitude, les enfants qui vivent leurs vies, les rares amis proches de la mort, etc.) et le côté thriller avec des menaces, de la paranoïa ?
Pendant la journée, c'est du drame. Quand il y a d'autres personnages autour de lui, Brendan se sent en sécurité. Même s'il ne peut pas établir de lien émotionnel avec eux, il n'y avait jamais vraiment de menace pendant la journée. Mais dès que la nuit tombe et que tous les autres personnages sont partis, qu'il ne reste plus que lui, le film se transforme presque en film d'horreur avec du suspense et de la peur. On entend des bruits, mais on ne sait pas s'il y a quelqu'un.
Quelles étaient vos intentions principales en termes de mise en scène ?
Quand on commence à déterminer les plans et la manière dont on veut raconter l'histoire, on doit se demander si l’on peut restituer l'illusion de la scène au public sans aucun dialogue. Le public peut-il comprendre ce qui se passe uniquement à partir du cadre et de l'action qui s'y déroule ? Cela dépend de la composition des plans, de l’éclairage mais aussi bien sûr, du jeu des acteurs. Donc, même sur le plateau, pendant les répétitions, je supprimais des répliques. Nous faisions une prise, je regardais comment Gerry jouait et je me disais : "il n'a pas besoin de parler, il n'a pas besoin de dire ça. " La pire chose que l'on puisse faire en tant que réalisateur, c'est de donner toutes les informations au public au lieu de le laisser faire un petit effort pour les découvrir par lui-même. Je voulais avoir un langage visuel très simple, sans mouvements sophistiqués de caméra pour en mettre plein la vue et plutôt que laisser le récit se dérouler de manière très organique. Avec mon directeur de la photographie, David Christopher Lynch, nous avons donc décidé que pendant la majeure partie du film, la caméra ne devait pas bouger, sauf en cas de changement émotionnel chez le personnage ou de changement de ton dans le film.
Solitary est une sorte de miracle de production avec un micro-budget de 60 000 euros.
Oui, c’est un miracle. Tout est venu du scénario avec des gens qui ont été touchés car ils ont compris que c'était une histoire irlandaise très importante. Tout le monde en Irlande connaît quelqu'un comme Brendan, un vieil homme vivant seul, qui n'est pas très ouvert émotionnellement et qui est très difficile à approcher. Beaucoup de gens ont donc soutenu le film à leur niveau, en rendant des services alors qu'ils n'étaient pas obligés de le faire. Le film a été vraiment réalisé par cette communauté rurale où nous avons tourné.
Vous avez piché au Arras Days, votre prochain projet : Absence. De quoi parle-t-il ?
C’est un thriller qui raconte l'histoire d'une étudiante irlandaise en échange universitaire, qui disparaît dans le Nord de la France. Un détective solitaire et les parents désespérés de la jeune fille se retrouvent entraînés dans une enquête sombre qui explore la nature corrosive de l'obsession. J'aimerais vraiment m'associer à une société de production française, en particulier du Nord de la France, pour aider à donner vie au projet, trouver des lieux de tournage, des financements, etc. Et partir de là pour voir comment les choses évoluent.
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