Mehdi Fard Ghaderi • Réalisateur de Phase Space
"La machine ne pourra jamais remplacer l’imagination"
par Valerio Caruso
- Le cinéaste iranien revient sur prochain film, un titre de science-fiction tourné en espagnol, et partage sa vision d’un genre qu’il aborde comme un miroir du présent

Avec Phase Space, son nouveau long métrage tourné en un seul plan-séquence, le cinéaste iranien basé à Paris Mehdi Fard Ghaderi poursuit son exploration des formes cinématographiques extrêmes. Pour son premier film ouvertement ancré dans la science-fiction et tourné en espagnol, il s’intéresse moins aux effets visuels qu’à la perception, au temps et à la fragilité de la conscience.
Cineuropa : Qu’est-ce qui vous attire dans le genre de la science-fiction, et qu’avez-vous souhaité explorer dans Phase Space ?
Mehdi Fard Ghaderi : Pour moi, la science-fiction ne parle pas de l’avenir, mais du présent. J’utilise ce genre pour interroger le monde dans lequel nous vivons, un monde rempli de questions existentielles et de mutations rapides. La science-fiction me permet d’observer la réalité sous un autre angle, comme à travers un miroir déformant qui révèle des aspects que nous oublions souvent dans le quotidien. C’est un espace où les questions humaines, philosophiques et morales apparaissent avec plus de clarté, libérées du bruit du réel.
Dans Phase Space, j’explore les frontières entre le temps, la mémoire et la perception — la manière dont notre esprit construit l’idée même de réalité. Je me demande ce qu’il reste de l’être humain lorsque cette construction mentale s’effondre : la conscience, l’émotion, l’identité ? J’aimerais que le spectateur ne suive pas seulement une histoire, mais qu’il s’interroge : jusqu’à quel point la réalité qu’il voit est-elle une création de son propre esprit ?
La science-fiction européenne reste minoritaire face à l’offre américaine. Comment percevez-vous son évolution et sa place aujourd’hui ?
La science-fiction européenne a toujours adopté une approche plus réfléchie, intime et poétique. Alors qu’Hollywood mise davantage sur le spectaculaire et les effets visuels, les cinéastes européens s’intéressent aux dimensions philosophiques, sociales et émotionnelles de l’être humain. C’est un cinéma souvent plus lent, plus contemplatif, mais qui invite le spectateur à penser et à participer activement à l’expérience. En Europe, science et fiction se mêlent volontiers à la philosophie, à la politique ou à la psychologie, non pour prédire le futur mais pour analyser notre présent. Je crois qu’aujourd’hui, le public européen est prêt à accueillir une nouvelle forme de science-fiction — un cinéma qui ne donne pas de réponses toutes faites mais ouvre des pistes, interroge et stimule la réflexion.
Comment un cinéma au budget limité peut-il rivaliser avec les productions américaines en matière d’effets spéciaux ?
Je crois que l’imagination est plus importante que le budget. Lorsque les moyens sont limités, le réalisateur et son équipe deviennent plus inventifs : ils doivent trouver d’autres manières de transmettre émotions et idées. Dans Phase Space, nous voulions créer un sentiment d’infini, de mystère et d’inconnu à travers des espaces réels, la lumière, le son et le mouvement de la caméra. Il ne s’agit pas de bâtir un monde artificiel, mais d’utiliser la réalité pour offrir une expérience poétique et sensorielle. Le regard de la caméra est pour moi l’outil essentiel : il peut transformer un mur, un visage ou même le silence en métaphore. Les technologies et les effets numériques ne sont que des moyens, jamais une fin. La véritable force du cinéma réside dans la manière de voir et d’interpréter le monde. L’imagination peut compenser le manque de moyens et transformer un petit film en une grande expérience.
L’intelligence artificielle influence de plus en plus la création audiovisuelle. Quel rôle joue-t-elle dans votre travail ?
L’intelligence artificielle peut être utile dans certains aspects de la création cinématographique, même si elle reste encore immature. Ma crainte ne porte pas sur l’IA elle-même, mais sur un monde où l’être humain cesserait de rêver. L’essentiel, pour moi, est de préserver le regard humain, sa sensibilité, sa capacité à imaginer, ce que la machine ne pourra jamais remplacer.
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