BLACK NIGHTS 2025 Rebels with a Cause
Nabil Ben Yadir et Mokhtaria Badaoui • Réalisateurs de Les Baronnes
"On doit revendiquer le droit à la fiction"
par Aurore Engelen
- Le cinéaste belge co-réalise son nouveau film avec sa mère, et tous les deux nous parlent de cette expérience

Nabil Ben Yadir présentait au Festival Black Nights de Tallinn dans la section Rebels with a Cause son nouveau film, Les Baronnes [+lire aussi :
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fiche film], co-réalisé avec sa mère, Mokhtaria Badaoui, et qui s’est vu décerner le Prix du Meilleur film. Les cinéastes nous parlent de cette expérience, et de ce projet, qui apporte une réponse de cinéma au premier film de Nabil Ben Yadir, Les Barons [+lire aussi :
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interview : Nabil Ben Yadir
fiche film], sorti il y a une quinzaine d’années, qui racontait le quotidien de trois jeunes hommes issus de l'immigration maghrébines et vivant à Molenbeek.
Cineuropa : D’où viennent ces Baronnes ?
Nabil Ben Yadir : Quand Les Barons sont sortis, ma mère m’a dit : "Le film est très bien, mais ce serait quand même bien de raconter aussi l’histoire de leurs mères, de leurs grands-mères."
Mokhtaria Badaoui : Je trouvais que dans le film, le personnage de la mère de Hassan avait un peu été laissée de côté. Elle n’existait pas vraiment.
N.B.Y. : Elle n’existe pas vraiment au cinéma tout court d’ailleurs. Souvent, les personnages de mères maghrébines ressemblent à des caricatures. On s’est demandé pourquoi on ne voyait jamais de Baronnes au coeur des films, et ma réponse a été immédiate, très simple en fait : s’il n’y a pas de Baronnes devant la caméra… c’est qu’il n’y en a pas derrière ! Ça ne veut pas dire que l’on doit être les personnages que l’on raconte, mais n’empêche, s’il y a toute une catégorie de personnes qui ne racontent pas les histoires au cinéma, les chances que leurs histoires soient partagées sont plus minces.
Souvent dans les films, les personnages de mères ou grands-mères maghrébines n’existent que dans leur rapport aux autres, elles sont là pour leur métier (souvent de service), ou parce qu’elles ont un lien de parenté avec l’un ou l’une des protagonistes…
M.B. : C’est vrai, et ici, non seulement Fatima se met à exister par elle-même et pour elle-même, mais elle devient aussi moteur pour les autres, pour ses amies. C’était d’ailleurs très important pour moi aussi de montrer des femmes qui décident pour elles-mêmes, ainsi que cette amitié.
Dans le film, il y a beaucoup de scènes surprenantes qui s’affranchissent du réalisme pour s’aventurer dans un univers très poétique.
N.B.Y. : Je crois qu’écrire et tourner avec ma mère m’a libéré moi aussi. C’était une première fois pour elle, elle n’avait pas de barrières. Alors que j’ai l’impression que plus on fait des films, moins on est libres, plus on est sensible à ce que pourront dire les autres. On risque de rentrer dans le moule. Typiquement, c’est ma mère qui a eu l’idée de la scène de l’ordinateur. Au début, on devait juste tourner une séquence où Fatima appelait son mari au Maroc en FaceTime.
M.B. : Moi, je pensais qu’il fallait que l’on aille au Maroc tourner cette scène, que l’on voit la maison que le mari de Fatima disait en travaux, alors qu’elle rêvait de s’y installer, et qu’on montre qu’en fait la maison était finie, qu’il y vivait avec sa deuxième femme.
N.B.Y. : Moi, en tant que réalisateur, mais aussi producteur du film, je lui dis que ça n’allait pas être possible, qu’on n’en avait pas mes moyens. Alors elle m’a dit : "Et si on entrait dans l’ordinateur ? On pourrait aller voir directement chez lui, on serait les yeux de la webcam." Mais elle le disait dans une grande sincérité, alors que moi je l’aurais vu comme une blague. Et au final, je crois que c’est l’une de mes scènes préférées du film.
Nabil, vous dites souvent que c’est votre mère qui a été votre premier prof de cinéma ?
N.B.Y. : Oui, on regardait beaucoup de films à la maison, et je me souviendrai toujours qu’on regardait un film avec Louis de Funès, et c’est elle qui m’a expliqué que c’était un film avec lui, mais de Gérard Oury, qu’il n’y avait pas que les acteurs, mais aussi les réalisateurs.
M.B. : C’est vrai, on regardait beaucoup de films à la télévision, je les enregistrais même à l’époque. J’adore toujours les films de Gérard Oury, j’aime beaucoup les comédies françaises de ces années-là, La Grande Vadrouille, Les Aventures de Rabbi Jacob…
Dans le film, l’art en général et le théâtre en particulier a une place très importante, il permet de déplacer les gens ?
N.B.Y. : Faire jouer Hamlet aux Baronnes, c’est une façon de les placer à un endroit où on ne les a jamais vues. C’était important pour nous qu’elles s’approprient les grands textes, qu’elles ne soient pas là où on les attend, à faire la danse du ventre, comme le dit Inès dans le film. J’ai l’impression que souvent, les personnages maghrébins dans les films, encore plus les mères, sont cantonnés à un cinéma social, presque documentaire. Ils n’ont pas doit à la magie, à la poésie, au surréalisme. Comme s’ils étaient coincés dans leur cité. Ça pose à nouveau la question de qui raconte. Quand tu fais un film avec un personnage comme ça, on va te demander : "Oui, mais c’est inspiré de qui ?" Comme si ça devait forcément être une histoire vraie. Mais on doit revendiquer notre droit à la fiction.
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