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LES ARCS 2025

Tamara Kotevska • Réalisatrice de The Tale of Silyan

"Nous nous effondrerons en tant que société si nous oublions comment vivaient nos ancêtres et quelles étaient leurs valeurs dans le passé"

par 

- La cinéaste macédonienne, nommée deux fois aux Oscars en 2020, raconte la genèse de son dernier documentaire et lève le voile sur son premier long de fiction qu’elle vient de tourner

Tamara Kotevska • Réalisatrice de The Tale of Silyan

Grand Prix à Sundance 2019 et nommé deux fois l’Oscar 2020 (comme meilleur documentaire et meilleur film international) avec Honeyland [+lire aussi :
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, la Macédonienne Tamara Kotevska est doublement présente au 17e Les Arcs Film Festival : avec la projection de son documentaire The Tale of Silyan [+lire aussi :
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(découvert cette année hors compétition à Venise et candidat de son pays pour les prochains Oscars) et au Work in Progress avec son premier long de fiction : Man vs Flock.

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Cineuropa :  Comment est né The Tale of Silyan qui entremêle plusieurs sujets : des cigognes, une famille, un contexte économique et un conte ?
Tamara Kotevska : Je préparais le tournage de Man vs Flock dont le scénario incluait une scène symbolique avec une cigogne. À l’époque, je ne savais rien des cigognes. Mais le gouvernement est tombé et tous les financements de l'industrie cinématographique en Macédoine ont été bloqués et je ne pouvais pas réaliser le film. J'ai décidé de ne pas attendre, de ne pas perdre de temps et d’en profiter pour faire des recherches sur la façon de filmer les cigognes et sur les endroits où nous pouvions les trouver dans le pays. J’ai échangé avec la Macedonian Ecological Society que je connais très bien et j’ai parlé à une biologiste spécialiste des cigognes qui m’a donné beaucoup d’informations et m'a indiqué les emplacements d'une centaine de nids de cigognes dans le pays. Elle m'a aussi envoyé des articles de chercheurs et j’y ai découvert que la population des cigognes décline en Macédoine parce qu'elles vivent dans les décharges et se nourrissent des déchets. J’ai trouvé cela fascinant et j’ai décidé de me d’aller sur place, de nid en nid, et dans les décharges, avec mon directeur de la photographie qui est également producteur. Nous nous sommes lancés sans financement et pendant très longtemps, nous avons investi notre temps et nos ressources personnelles. Nous avons aménagé une vieille ambulance avec un lit, une cuisine et des placards, car en Macédoine, il est impossible de trouver un endroit où dormir dans les villages où se trouvent les cigognes, et nous sommes partis sur les routes. Nous avons parcouru toutes les décharges où les cigognes venaient se nourrir et nous avons alors réalisé que c'était un très bon sujet pour un documentaire. Je me suis dit : "OK, faisons un court métrage documentaire", car je ne savais pas si je trouverai un sujet pour quelque chose de plus long.

Mais, alors que nous suivions les cigognes, je me suis retrouvé sur les terres des agriculteurs, car je voulais comparer la façon dont les cigognes se nourrissent aujourd'hui dans les décharges et leur mode d'alimentation normal depuis des siècles en symbiose avec les agriculteurs. J'ai remarqué à quel point ces deux espèces, les cigognes et les agriculteurs, se ressemblent, à quel point elles se sont influencées mutuellement au fil des siècles. Je me suis donc dit que ce serait peut-être une bonne idée de suivre également les agriculteurs, afin de montrer la comparaison. J'ai organisé un casting et j'ai sélectionné la famille de Nikola parce qu'ils sont très charismatiques, car ils s'aiment et car la caméra les aime. De plus, la fille de la famille m'a dit qu'ils allaient bientôt émigrer, ce qui m'a offert un autre angle de comparaison entre cigognes et humains. Enfin, cet été-là, les manifestations d’agriculteurs ont commencé et j’ai décidé de suivre ce mouvement. C'est là que j'ai réalisé que ce film avait beaucoup plus de potentiel qu'un simple court métrage.

Le tournage et le montage ont duré environ trois ans. L’idée du conte est arrivé très tardivement. Quand Nikola a décidé de s'occuper d’une cigogne blessée et a tissé des liens avec elle, j’ai pris conscience que c'était parfait pour utiliser le conte de Silyan, car c’était comme s’il était en train de s‘incarner sous nos yeux.

Quid du souffle quasi lyrique injecté dans le style très réaliste du film ?
Nous avons faire beaucoup de recherches pour savoir comment filmer les cigognes. Nous avons investi dans du matériel de très bonne qualité, un drone, un objectif spécialement conçu pour pouvoir filmer les oiseaux. En les suivant de loin, nous n'avions pas de son sur le drone, ni son sur la caméra en longue focale. Donc, naturellement, l'image était un peu magique et elle nécessitait plus de stylisation en post-production à cause de l’absence de son. Voilà pourquoi les cigognes donnent l'impression d'être des créatures qui apportaient de la magie dans la vie des humains.

Vos films sont très ancrés dans un univers rural, presque archaïque, à l’opposé du monde contemporain hyper capitaliste. Pourquoi cet intérêt pour des personnages comme l’apicultrice de Honeyland ou l’agriculteur Nikola ?
Les deux films se déroulent dans l’Est de la Macédoine, à seulement une colline de distance. J'ai toujours aimé ce genre de personnages qui s'accrochent encore à certains modes de survie indigènes. Ils sont encore à l'état brut. Ils ne sont pas vraiment touchés par la société de consommation, par la pression capitaliste. Je pense que ce type d’individus est vraiment en voie d'extinction. Et j'ai l'impression que lorsqu’ils auront disparu de la planète Terre, nous perdrons quelque chose de très important. Car nous ne pouvons pas survivre en dépendant uniquement du capitalisme et du consumérisme. En tant qu'espèce, nous avons besoin de beaucoup d'autres choses. Nous sommes des êtres très sociaux. Nous nous effondrerons en tant que société si nous oublions comment vivaient nos ancêtres et quelles étaient leurs valeurs dans le passé.

Que raconte Man vs Flock, votre nouveau film et votre premier long de fiction ?
J'avais commencé à faire des recherches pour un documentaire au début de la construction d’une autoroute chinoise en Macédoine. C'est le projet gouvernemental le plus coûteux à ce jour, et il n'est toujours pas terminé, ce qui suscite beaucoup de controverses. J'ai discuté avec de nombreux habitants, recueilli des témoignages, parlé à beaucoup de journalistes d'investigation, mais ce n’était pas possible de raconter ça à travers un documentaire car aucun protagoniste ne voulait s'exprimer publiquement sur ce sujet, ni les institutions à cause de la corruption et de la censure, ni les habitants de la région, ni les travailleurs chinois. Je me suis donc inspiré de cela et, à partir de tous les témoignages que j'ai recueillis, j'ai créé ma propre histoire, qui ne repose pas à 100 % sur des faits réels. Le nœud principal de l’intrigue est que le gouvernement cache une décharge illégale derrière la construction de cette autoroute, ce qui est très courant en Macédoine : un énorme projet d'investissement étranger peut masquer plusieurs autres projets illégaux. Mais c’est aussi source de conflit familial car de nombreuses familles sont divisées entre les jeunes à qui cela donne des emplois et la génération plus âgée qui ne veut pas abandonner ses terres. Le tournage et le montage, mais toute la post-production reste à faire

Et ensuite, ce sera un documentaire ou une fiction ?
Je travaille sur un documentaire qui se déroule en Sibérie. Nous y avons déjà tourné un mois durant l’été 2024. C'est le point le plus au nord de la planète où il y a encore des humains. Nous tournons avec le peuple des Dolganes et nous explorons les changements survenus au sein de cette tribu qui élevait autrefois des rennes et qui s consacre désormais à la recherche de défenses de mammouths.

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