Le nouveau marché télévisuel
par CARTOON (European Association of Animation Film)
- Laurence Meyer présente les connections entre le nouveau marché télévisuel et Internet.
Laurence Meyer est analyste à Forrester Research.
Quels sont les changements technologiques majeurs qui s'opèrent dans l'industrie de la télévision?
Anthony Rose, le directeur technique de BBC iPlayer, la très célèbre catch up TV britannique a réussi à résumer les points clés du nouveau marché de la télévision. [“Until 2007, BBC chose what you watched. With BBC iPlayer, 2008 was the year viewers chose what they watched. 2009 will be the year your friends choose what you watch”].
La télévision devient omniprésente, elle est accessible à partir de n'importe quel type d'équipement, elle passe progressivement d'un modèle linéaire à un modèle non linéaire et à la demande. Elle intègre des nouvelles dimensions comme notamment celle du partage, celle de la recommandation ou encore de la personnalisation.
Ce commentaire illustre assez bien la manière dont Internet et la Tv vont finir par converger.
Quelle place occupe la vidéo en ligne et la TV dans les consommations des médias des européens?
Pour bien comprendre où se situe aujourd'hui l'industrie de la télé, on doit comprendre les nouveaux modes de consommation et la place qu’occupe la vidéo. Depuis maintenant deux ou trois ans, à la suite du succès fulgurant de YouTube, la vidéo en ligne fait vraiment couler beaucoup d'encre.
L’engouement des analystes pour la vidéo en ligne est-t-il justifié?
Oui, parce que la consommation de la vidéo en ligne a doublé en trois ans chez les générations les plus jeunes.
Suite à cette évolution, une conséquence tout à fait normale c'est que le PC est désormais considéré comme une plateforme de divertissement par les européens. Nous évoluons vers une audience qui est de plus en plus multi-écran.
En 2008, 27% des européens utilisaient deux écrans PC pour regarder de la vidéo. Sur le PC on a tendance à consommer des contenus vidéo de format court ou alors du contenu qui est généré par les internautes eux-mêmes. On regarde aussi des DVD. En 2007 il y avait seulement 18% d’européens qui consommaient régulièrement de la vidéo sur le PC. En 2008 ils sont 27%.
Cette évolution concerne plus particulièrement les jeunes générations. Les jeunes entre 15 et 24 ans sont les plus nombreux à consommer de la vidéo en ligne depuis un PC (36%) et sont encore plus nombreux à regarder des vidéos sur leur téléphone mobile (52%). La consommation des moins de 30 ans a tendance à se concentrer sur les nouveaux médias. L'Internet est devenu chez les moins de 24 ans le premier média.
Les jeunes générations consomment encore plus des médias que les générations les plus âgées. Si on compare la consommation des médias des moins 34 ans avec celle des personnes de plus de 55 ans, on voit que en moyenne les jeunes ont tendance à consommer 20% en plus de médias par semaine que les gens les plus âgées. Donc, relativement moins de télévision, mais quand même plus de médias au total.
Comment se place le phénomène des réseaux sociaux dans ce contexte?
Chez les jeunes les réseaux sociaux sont devenus incontournables, plus d'un tiers des jeunes de moins de 15 ans font partie d’au moins un réseau social et seulement un tiers se dit non intéressé par les réseaux sociaux. On voit aussi que la vidéo en ligne est bien intégrée, 70% des jeunes âgées de moins de 15 ans regardent de la vidéo en ligne. On compte plus d'une centaine de plateformes disponibles sur le Net.
Regarder de la vidéo en ligne est une pratique aujourd'hui qui est assez étendue, elle ne concerne pas seulement les jeunes, mais aussi de plus en plus les adultes. Chez Forrester nous estimons que l'audience pour la vidéo en ligne en Europe en 2008 a représenté 90 millions d'adultes. L’audience a complètement explosé depuis quatre ans, puisque elle a été multipliée par quatre par rapport à 2004.
YouTube apparaît toujours comme "la" plateforme d'échange vidéo la plus emblématique avec plus de 88 millions d'utilisateurs en février 2009. Ce qu'on peut dire c'est que le positionnement des réseaux sociaux vis à vis de la télé a probablement évolué au cours des deux dernières années. Certains services comme MySpace ou Bebo se positionnent plus sur le créneau du divertissement. Ils accueillent des chaînes de télévision comme la BBC ou National Geographic.
D'autre part vous avez Facebook qui tend plus à se positionner sur le créneau de la communication. La relation des opérateurs TV avec Facebook est destinée à renfoncer leur audience et fournir des nouveaux moyens de promotion.
Pourtant les européens continuent d'aimer la télévision et dans cet univers de plus en plus concurrentiel, la télévision résiste bien…
Oui, la consommation télévisuelle représente 12 heures par semaine chez les européens, soit deux fois plus que l'usage personnel qui est fait d'Internet. Malgré la croissance indiscutable de la vidéo en ligne, la télévision reste malgré tout le média de prédilection des européens.
La consommation hebdomadaire de télévision est encore plus de 10 fois plus importante que celle de la vidéo en ligne.
Quel est le chiffre d’affaires généré par la vidéo?
Selon nos estimations, la vidéo en ligne en Europe a généré €200M d'euros en 2007, alors que les services de télévision enregistraient un chiffre d'affaires de €70 milliards. Si on se projette dans l'avenir, malgré une croissance rapide des investissements publicitaires sur Internet, ce rapport ne va pas s'inverser à moyen terme, puisque l’on estime qu’en 2012 le chiffre d'affaires de la vidéo en ligne devrait avoisiner €1,5 millions à l'échelle européenne, tandis que le chiffre d'affaires des services de télévision représentera €85 milliards.
Même si on parle beaucoup de la vidéo en ligne, les opportunités de croissance et de revenus sur ce nouveau média resteront assez limitées à moyen terme.
Que se passe-t-il du côté de l'offre des services?
La TV est loin d'être en reste pour ce qui est de l'évolution technologique. Depuis le milieu des années 90, les opérateurs n'ont cessé de déployer des innovations dans le domaine de la télévision. Ça a commencé avec la télévision haute définition, la télévision numérique et puis les innovations n'ont cessé de pleuvoir: le lancement de la Télévision Numérique Terrestre, la IPTV, la vidéo à la demande, la télévision mobile...
De même, les innovations technologiques ont été assez nombreuses dans le domaine de l'Internet avec des moteurs des recherche de plus en plus puissants, l'Internet haut débit, la messagerie instantané, les réseaux sociaux... tout simplement le web 2.0.
La vidéo à la demande et la catch up TV ont commencé à opérer une convergence entre le monde d'Internet et de la télé. Avec le lancement des services "over the top", les set-top box hybrides ou encore les téléviseurs que l'on peut connecter à Internet, la convergence va aller encore plus loin.
Comment évolue la vidéo à la demande sur le poste de télévision?
Au cours des quatre dernières années, le marché européen de la vidéo à la demande a été particulièrement dynamique. Si on se réfère aux chiffres qui sont publiés par l'Observatoire européen de l'Audiovisuel, il y a avait à la fin de 2007 en Europe de l'Ouest 200 services de vidéo à la demande disponibles. L'essentiel de ces services étaient accessibles sur le PC, les services de VoD sur la télévision étant assez récents puisqu'ils sont étés lancés en 2004, principalement sur les réseaux de IPTV et les réseaux du câble numérique.
Malgré une offre qui est dynamique, les européen n'accèdent pas si facilement à ce service. On estime que seulement 14% d’européens peuvent accéder à ce type des services. Le raisons sont assez simples : d'un part il y a l'incapacité des réseaux numériques terrestres et du satellite de pouvoir offrir ce genre de services ; par ailleurs, lorsqu'on regarde les réseaux qui peuvent délivrer ce type de service, à savoir le IPTV et le câble numérique, on voit que leur pénétration reste relativement faible.
Ceci dit, même si leur audience reste faible, les services de VoD sur le poste de télévision connaissent un certain succès. Il est vrai que le chiffre de 7% [pourcentage en Europe des personnes qui utilisent des services de VoD] pourrait apparaître quelque peu décevant, mais encore une fois il faut mettre ce chiffre en rapport avec le nombre des personnes qui peuvent effectivement accéder à un service de vidéo á la demande sur le poste de télévision. La plupart des gens ne savent même pas que ce genre de services existe, donc 7% est tout à fait encourageant.
L'intérêt des téléspectateurs pour les services de VoD s'aperçoit en étudiant les statistiques qui sont publiés par les opérateurs de VoD sur le poste de télévision : on voit qu'il y a un réel engouement pour ce type de services, et que ça répond vraiment à des attentes. Un exemple est VirginMedia qui propose un service de VoD sur le poste de télévision. Avec 3,5 millions d'abonnés VirginMedia a enregistré 203 millions de requêtes de VoD. Dans le cas de VirginMedia ce qu'il faut préciser c'est que, d'un part, le service de catch-up de la BBC a bien aidé VirginMedia à développer cette activité, et d'autre part qu'une grande partie de l'offre est gratuite.
A niveau européen, la où la VoD est disponible sur le poste de télévision, au moins un tiers des abonnés utilise ce service régulièrement et, dans le cas de VirginMedia, c'est plus de 50%.
Les téléspectateurs apprécient les programmes à la demande, pourvu qu'ils soient gratuits. Ils apprécient aussi le "day-and-date", c'est-à-dire, la sortie simultanée de la vidéo à la demande et du DVD. Ce genre d'offre est mis en place notamment par des sociétés comme Warner.
2007 et 2008 peuvent, sans aucun doute, être qualifiées les années de la catch-up TV en Europe. Selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel, il y avait à la fin de 2007 une cinquantaine des services de télévision de rattrapage en Europe. Ces services sont, en règle générale, proposés par les chaînes de télévision qui voient un moyen de satisfaire leur audience et de la fidéliser tout en récupérant également une partie des jeunes téléspectateurs qui tendent à préférer Internet.
Aujourd'hui il n'y a pas une grande chaîne de télévision qui n'ait pas franchi le pas de la catch-up TV. Ces services sont généralement gratuits, néanmoins, certains opérateurs ont opté pour des services d'abonnement. Là aussi, qu'il soit gratuit ou payant comme en Belgique sur le câble ou sur le IPTV, ce service semble correspondre à une attente des téléspectateurs.
Les offres VoD sur le poste de la télévision vont donc s'accroître, est-ce que ces services vont devenir plus disponibles à moyen terme?
Notre réponse à cette question est oui, au moins pour deux raisons. D'abord parce que la VoD est considérée par les opérateurs de télévision comme une nécessité pour faire face à la concurrence. D'autre part, l'industrie de la vidéo connaît quelques difficultés avec une tendance à la baisse des ventes de DVD et une croissance assez soutenue de la piraterie vidéo. Donc, il convient de trouver une solution à cette tendance et la vidéo à la demande sur le poste de télévision pourrait constituer une réponse à cette tendance.
Les principales parties prenantes se doivent de faire marcher les services de VoD, et elles vont malgré tout pousser ces services, même dans un période de récession.
Comment définir les offres de télévision hybride et les offres de télévision over-the-top?
La volonté des acteurs du marché de rapprocher le monde de la télévision et d'Internet à travers le poste de télévision constitue une évolution majeure de ces derniers mois. La notion de télévision hybride ou de solution de TV over-the-top découlent de la convergence de trois type de réseaux: le réseau traditionnel de télévision, le réseau IP et l'Internet public.
Ces notions recouvrent ainsi plusieurs types d'offres et intéressent aussi bien les opérateurs des plateformes de télévision payantes que les players de l'Internet.
On observe l’apparition d’offres assez intéressantes et innovatrices au cours des années 2007 et 2008. Ce sont des offres over-the-top de vidéo et VoD. Ces offres sont basées sur des boîtiers qui se connectent à la fois sur le poste de télévision et à l'Internet et qui permettent d'accéder à une offre de contenu vidéo le plus souvent à la demande, donc distribué à travers Internet. Entre dans cette catégorie la Apple TV, la X-box 360 ou la PS3, ainsi que des offres indépendantes comme celle de Roku, qui est aujourd'hui disponible aux États Unis, ou en France avec le lancement de la Fnac TV.
L'offre de ce type de services et d'équipement est encore aujourd'hui assez limitée en Europe.
Depuis janvier 2009 ces offres ne transitent plus nécessairement par un boîtier, mais sont disponibles directement sur les téléviseurs qui se connectent à Internet. Cette perspective va amener de changements profonds dans la manière dont les contenus seront consommés à la télévision : on va aller vers un univers de widget sur le poste de TV. On va retrouver le même type d'expérience que dans l'i-phone, le téléspectateur va pouvoir accéder à des "application stores" pour télécharger les widgets qui les intéressent et les avoir disponibles sur le poste de TV.
Ce genre d'évolution va aussi permettre une meilleure intégration du guide de programmes et de services de VoD qui seront complètement intégrés avec les services linéaires. Aujourd'hui ils sont deux mondes complètement séparés et c'est aussi pourquoi on utilise un peu moins les services de VoD.
De même, les téléspectateurs vont pouvoir accéder à leurs réseaux sociaux depuis le poste de TV, recevoir des recommandations de leurs amis....il y aura une télévision plus personnelle. Cela signifie l'apparition de nouveaux business models dans lesquelles la publicité ciblée va aussi jouer un rôle primordial.
Si ces changements apparaissent irréversibles, leur impact devrait toutefois se faire sentir à moyen terme, notamment pour les raisons suivantes:
- Les foyers qui sont capables de se bénéficier de ces évolutions technologiques sont encore en nombre limité. En Europe en 2012 il y aura un tiers de foyers TV qui pourront s'en bénéficier.
- Aujourd'hui la base active d'équipements qui peuvent se connecter à l'Internet et délivrer du contenu Internet sur le poste TV est quasi inexistante. On part de 0. Les téléviseurs avec ces possibilités seront lancés en 2009 et ce marché est un marché de remplacement.
- Une coopération entre les différents acteurs est indispensable. Une régulation va devoir se mettre en place à ce niveau-là et ça prend du temps…
Quelles sont les implications pour l'industrie audiovisuelle?
Il y a trois points intéressants pour définir le positionnement des producteurs dans le moyen terme:
- Il faut commencer à adapter la nouvelle expérience télévisuelle du pont de vue du contenu.
- Se préparer à une fragmentation de l'audience encore plus grande.
- Se préparer aussi à une transition vers des supports de distribution immatériels.
Les acteurs du secteur de l'audiovisuel devront intégrer dans leur stratégie les nouveaux modes et les plateformes de distribution numérique de contenu et accorder une place importante à leur stratégie de promotion de leur contenu sur Internet à travers une politique assez élaborée.
Du point de vue du format, il devient indispensable de penser à l'interactivité, à la multiplicité des écrans et aux produits dérivés numériques.
Enfin, au niveau des droits : il y a des évolutions qui doivent intervenir dans la manière dont sont négociés les droits. Il faut aider les opérateurs de services de VoD à définir des offres attractives pour le consommateur.
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