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EDITORIAL

La télévision serait-elle le nouveau cinéma ?

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- Avec trames complexes et personnages bien campés, les séries télévisées sont le nouveau cinéma. Un grand pas a été fait depuis le temps des sitcoms du début de soirée, et si le marché américain est loin devant, le marché européen prend la même direction, avec des sujets de plus en plus intéressants

La télévision serait-elle le nouveau cinéma ?
Gomorra de Sky Italia

Plan d'ensemble sur le désert américain, sous un soleil cuisant. Deux groupes se font face, leurs voitures garées à côté, et soudain ils dégainent, donnant lieu à une scène finale de western avant de se conclure par un épilogue qu'on pressent violent. Coupure. Nous voilà devant un colossal massif  en Nouvelle-Zélande, puis la caméra glisse sur la surface d'un lac cristallin avant de s'arrêter sur un groupe d'hommes réunis sur la rive. Ils sont patibulaires, eux aussi. On n'est pas rassurés. Ces deux scènes sont tellement impressionnantes qu'elles semblent sorties de longs métrages de cinéma. Et pourtant, elles sont extraites de deux séries télévisées, respectivement Breaking Bad et Top of the Lake, réalisée par la cinéaste Jane Campion.

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Les personnages sont complexes à souhait, les trames sont subtiles et bien entremêlées, la narration est originale, et surtout on n'a pas à s'inquièter que le spectateur ait manqué un épisode : les séries modernes sont comme des livres qui ne reviennent pas sur ce qui s'est déjà passé mais continuent de laisser les personnages se développer, à l'instar de Walter White (Breaking Bad), Don Draper (Mad Men), Dexter Morgan (Dexter) ou encore Nicholas Brody (Homeland), des personnages qui encore récemment auraient été impensables, compte tenu qu'il s'agit d'un fabriquant de métamphétamine, d'un publicitaire alccolique, d'un tueur et série et d'un soldat américain soupçonné de terrorisme.

Jane Campion, Netflix, et la vie qui continue, même après Breaking Bad
"Il n'y a pas que les Américains. Nous aussi nous accordons beaucoup d'importance aux différents styles des auteurs", explique Caroline Torrance, productrice et responsable de la fiction chez BBC Worldwide. Elle reconnaît que sans fonds d'aide à l'audiovisuel et sans coopérations internationales, il ne serait pas possible de répondre aux attentes très élevées du public et aux coûts très élevés si on veut faire des productions de haute qualité. Par exemple, BBC Worldwide fait beaucoup de productions en collaboration avec la chaîne publique américaine PBS. De son côté, Top of the Lake a été produite par BBC en coopération avec Screen Australia, Screen New South Wales, le Fonds d'incitation à la production de New Zealand Screen (SPIF) et un producteur australien.

Sur ce projet, la réalisatrice Jane Campion a disposé de la plus grande liberté créative, ce qui est un trait commun à nombre de ces fictions de qualité – le scénariste Beau Williams dit par exemple qu'il n'a pas été influencé en créant House of Cards, une série à succès qui a été "diffusée" en streaming sur Netflix, la vidéothèque en ligne, qui a versé 100 millions de dollars pour financer les deux saisons de la série (une somme que le géant de la VàD a pu recouvrer rien qu'avec avec les ventes internationales).

Les séries de qualité sont aussi bénéfiques à l'économie locale du lieu où elles sont faites. Cet avantage n'a pas échappé à l'état du Nouveau-Mexique, qui a mis la main au portefeuille pour attirer Breaking Bad sur son sol. Et de fait, Albuquerque a profité pendant plusieurs années de l'activité engendrée par le tournage et du tourisme que la série a favorisé, ses fans ayant envie d'en visiter les lieux. À présent, la région attend la série Better Call Saul pour retrouver le même genre d'ébullition et confirmer la tendance actuelle, qui de tourner des séries en dehors de la Californie – si, en 2005, 89% des séries américaines ont été faites en Californie, en 2012, ce pourcentage est tombé à 37%. Pour les producteurs, les facilités et incitations fiscales sont un critère de plus en plus important au moment de choisir le lieu du tournage, parce qu'elles allègent considérablement les budgets, ce qui est d'autant plus significatif dans le cas de séries extrêmement coûteuses, or ce qu'offre la Californie n'est pas aussi attrayant que ce qu'on trouve dans d'autres états.

Les sujets de prédilection en Europe : homicides et mafia
En Europe, la situation est légèrement différente, parce qu'ici, les coproductions entre chaînes de télévision sont courantes. On peut mentionner à ce propos l'incroyable succès qu'ont obtenu ces dernières années les séries danoises The Killing, Borgen et The Bridge. “On ne peut pas imposer la qualité, c'est toujours un peu une question de chance", estime Piv Bernth, directrice de production pour la chaîne publique danoise. Comme elle le précise, 90% des budgets de ces séries ont été apportés par la radiotélévision nationale, et le reste par les différents fonds. Si trop de producteurs se trouvaient parmi les décideurs, cela serait au détriment des contenus.

Le fait que les Danois font désormais figure de créateurs de séries de rang international est confirmé par le fait que les États-Unis ont d'emblée voulu faire un remake de The Killing et de The Bridge (The Bridge America). La série Les Borgia (par le romancier Tom Fontana) a elle aussi montré que les Européens savaient tenir tête aux Américains. La série a été tournée avec leur soutien et après, elle a servi de base à un projet “made in USA” concurrent, Borgia.

Pour poursuivre l'analyse des pratiques européennes, on note par exemple que l'Allemagne participe souvent à des séries européennes en tant que co-investisseur – souvent par peur de proposer des sujets allemands. Weißensee est la seule série allemande qui ait eu de l'écho à l'étranger, explique la productrice Regina Ziegler. Cette histoire à la Roméo et Juliette qui se passe en RDA dans les années Quatre-Vingt a eu beaucoup de succès et elle a été vendue à la Russie, en Asie et même aux États-Unis. Mais le cas de cette série allemande reste une exception. De son côté, l'Italie s'inspire souvent de thèmes rattachés à l'Histoire européenne contemporaine pour créer des fictions à succès. Par exemple, Romanzo Criminale, qui est une transposition de l'ouvrage du juge Giancarlo de Cataldo, est la deuxième série de fiction que commissionne Sky Italia et elle se passe en Italie entre 1977 et 1989, pendant les années de plomb. Ses personnages sont les membres de la bande de la Magliana, qui est arrivée à imposer son monopole quasi complet sur tout le trafic d'héroïne à Rome – car cette série elle aussi propose une narration typiquement cinématographique, très centrée sur ses personnages principaux.

Sky Italia a aussi produit Gomorra, la série tirée du libre éponyme de Roberto Saviano. Après avoir été porté sur le grand écran, ce sujet fait fiction télévisée a été présenté au MIPCOM de Cannes et il s'est vendu dans le monde entier (notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaum-Uni et en Amérique latine). Gomorra est une série pour les coeurs bien accrochés : ses images extrêmement brutales retracent une guerre entre bandes mafieuses. De nombreuses scènes ont été tournées directement à Scampia, qui est un quartier particulièrement degradé socialement. La série est une prometteuse variation sur un thème profondément européen.

Cependant, malgré ces cas exemplaires, dans le domaine des séries de grande qualité, l'Europe reste en retard derrière le marché télévisuel américain. Pour rattraper de la distance, des mesures ont été prises visant à relancer la production des séries télévisées de qualité : par exemple, l'organisation du European TV Drama Series Lab de l'Institut Erich Pommer, en coopération avec Media X Change, ou encore la création du diplôme international SERIAL EYES par la DffB, l'école de cinéma et télévision de Berlin, en collaboration avec la London Film School, ou enfin la mise en place du Script Lab RACCONTI de la BLS. Ces programmes ne se limitent pas à permettre de former des créateurs, ils sont là pour encourager les chaînes de télévision européennes à ne pas être timorées, mais à explorer à travers les séries de nouvelles voies pour raconter l'Histoire et les histoires de l'Europe.

Article extrait de Take #4 Magazine, avec l'autorisation de la BLS Tyrol du Sud-Haut-Adige

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(Traduit de l'italien)

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