Tadmor : au-delà de l’horreur et vers la lumière
par Giorgia Del Don
- Le dernier documentaire poignant de Monika Borgmann et de Lokman Slim est en compétition au concours international du Festival Visions du Réel à Nyon
La journaliste allemande Monika Borgmann et le philosophe libanais Lokman Slim, réalisateurs du sublime film Massaker, qui a remporté le prix FIPRESCI à la Berlinale et le prix SRG SSR idée suisse aux Visions du réel en 2005, ont présenté la première mondiale de leur dernier documentaire bouleversant, Tadmor [+lire aussi :
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Avec des connaissances approfondies dans le domaine de la violence et des souvenirs de guerre (ils ont, entre autre, fondé ensemble l’UMAM, un centre de production, de documentation et de recherche dédié à ces sujets importants), Monika Borgmann et Lokman Slim brisent de nouveau un tabou grâce à Tadmor. Ils évoquent librement, et ce avec un calme déconcertant, la violence subie par les prisonniers de guerre qui avaient la malchance d’être enfermés dans la terrible prison de Tadmor (Palmyre en araméen). Cette prison, qui a également été désignée par le poète Faraj Bayraqdar comme étant le “royaume de la mort et de la démence”, est tristement connue pour avoir été la prison la plus dure qui n’ait jamais existé sous le régime d’Assad. Détruite en 2015 par les militants de l’État islamique lorsque ces derniers ont repris Palmyre, la prison de Tadmor risquait de se retrouver dans ce trou noir qui malheureusement dévore bon nombre des atrocités commises en temps de guerre, faisant taire les cris de ceux qui ont souffert et laissant un insurmontable et dangereux vide dans l’histoire. Pour éviter le scandale et se débarrasser des fantômes qui les hantent toujours, huit prisonniers de Tadmor, des libanais opposés au régime syrien, ont décidé de parler et surtout de décrire les horreurs qu’ils ont endurées. Avec un courage quasi surhumain, ils jouent devant la caméra, sur un plateau “théâtral” qu'ils ont construit, et font revivre la torture et l'humiliation qui ont constitué leur quotidien pendant tant d'années.
Tadmor est le témoignage extraordinaire d’un groupe d’hommes courageux essayant de redécouvrir la part d’humanité qu’ils ont perdue entre les murs de cette prison. Ils ont été réduits à vivre dans l’ombre, avec des réflexes automatiques et dépersonnalisés, poussés par une seule force : la survie. Leurs récits, tournés et joués directement dans un environnement neutre, se heurtent aux reconstitutions et aux plans rapprochés de leurs corps tremblants et du gouffre dans leurs yeux. Tadmor se penche sur la question de la mémoire du corps, qui subit des saisissements indélébiles et marquants. Les mains, les yeux et la peau de ces hommes, endurcis par la torture, prennent lentement, mais sûrement, la place des mots pour nous apporter un vocabulaire extrêmement puissant, troublant de vérité et vibrant de vie malgré tout. La force des mots vient à travers le corps humain. La caméra est simultanément transformée en arme, en porteuse de vérité et en flamme ardente utilisée pour illuminer la vie qui résonne encore dans les corps des quelques personnes qui ont survécu à la prison de Tadmor. Avec leur courage, les huit protagonistes du film de Monika Borgmann et de Lokman Slim réalisent une extraordinaire dénonciation qui résonne du Liban à travers le monde entier. Une thérapie imagée qui parle directement à nos consciences. Un des films indispensables et audacieux qu’on aimerait voir plus souvent à l’affiche.
Tadmor est une coproduction entre la France (Les Films de l’Étranger), la Suisse (Golden Egg Production) et le Liban (Umam Production). La distribution du film est prise en charge par Doc & Film International.
(Traduit de l'italien)
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