IFFR 2018 Deep Focus Signatures
Insect : les insectes surréalistes de Jan Švankmajer
par Roberto Oggiano
- Le nouveau film du maestro tchèque Jan Švankmajer est une oeuvre inventive et pleine d’imagination
Plusieurs histoires s’enchevêtrent dans Insect [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Jan Švankmajer
fiche film], qui marque le retour de Jan Švankmajer après huit ans d’absence. Le film, présenté à Rotterdam dans la section Deep Focus – Signatures, c’est une œuvre hybride qui opère à plusieurs niveaux. À partir de l’histoire d’une compagnie de théâtre qui prépare une pièce avec deux dénouements, un optimiste et un pessimiste, on assiste au making of du film, et au making of du making of.
À partir d’une satire des frères Čapek, le cinéaste tchèque développe une réflexion complexe sur le cinéma moderne, et ce bien qu’il déclare d’emblée non seulement que son film n’a aucune intention morale, mais aussi que la composition en sera très simple, avec des plans brefs, des personnages dénués d’épaisseur psychologique et des petits inserts animés. Naturellement, l’auteur va dévoiler son dispositif en cours d’œuvre. En effet, Comment peut-on représenter une œuvre satirique sans faire de la satire ? Et si les personnages étaient sans épaisseur, quel intérêt d’enquêter sur le caractère des acteurs qui les interprètent, jusqu’à interpréter aussi les rêves de ces acteurs ? Chaque comédien dans le film joue en fait trois rôles, et chacun est aussi un insecte dont on observe les métamorphoses successives, métamorphoses qui n’absolvent personne – le surréalisme a ici une fonction palliative : ridiculiser le pouvoir sert surtout en alléger le poids écrasant.
C’est sur cette proposition que se fonde tout le film de Svankmajer, dans la lignée de la tradition de la satire politique tchèque, de Kafka et des frères Čapek à l’écrivain Jaroslav Hašek ou à feu le cinéaste Jan Němec, un des hérauts de la nouvelle vague tchèque (avec Svankmajer), auquel le Festival de Rotterdam a d’ailleurs dédié une rétrospective l’année dernière. Ce n’est manifestement pas un hasard si le style d’Insect renvoie par moments à The Wolf from Royal Vineyard Street [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], le dernier film de Němec, tourné il y a à peine deux ans.
Les insectes anthropomorphes filmés et dessinés par Svankmajer sont clairement petit-bourgeois, égoïstes et mesquins. Leur simple vue provoque le dégoût. Il n’y a pour eux pas de possibilité de rédemption.
La partie making of n’est pas moins intéressante qui renvoie à des maîtres du surréalisme (le café qui se transforme en fourmis, par exemple, est un clin d’oeil au Chien andalou de Buñuel) et devient presque un chapitre d’un manuel du cinéma selon Svankmajer. Nous y voyons ainsi le réalisateur tandis qu’il dirige sa troupe ou débat de l’importance d’une coupe, ce qui nous permet d’apprendre comment ont été réalisées certaines scènes et certaines animations.
Le film maintient jusqu’au bout le ton pédagogique et spéculatif du début, agrémenté d’un festival de costumes et d’un crescendo d’inventivité qui se conclut par un “je vous l’avais dit !” que peu d’artistes (et artisans) peuvent se permettre. Jan Svankmajer peut se le permettre, contrairement aux nuées de réalisateurs moins doués qui pullulent aujourd’hui.
Insect a été produit par Athanor - Film Production Company avec le soutien de Creative Media et d’une campagne de financement participatif sur Indie Go-Go. Le film sera distribué par Athanor.
(Traduit de l'italien)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.