Critique : Manta Ray
par Fabien Lemercier
- VENISE 2018 : Phuttiphong Aroonpheng signe un premier long atmosphérique et cryptique formellement très prometteur mais à la lisière de l’abstraction
"La forêt est pleine de cadavres (...) On dit que les pierres précieuses y brillent durant les nuits de pleine lune, mais tout le monde a peur d’y aller." Pour son premier long de réalisateur, Manta Ray [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], dévoilé dans la section Orizzonti de la 75e Mostra de Venise, le directeur de la photographie thaïlandais Phuttiphong Aroonpheng (remarqué pour son travail sur Vanishing Point et The Island Funeral) a décidé de plonger le spectateur dans des eaux très profondes, dans une immersion atmosphérique visuelle et sonore de tout premier ordre, allant parfois jusqu’à l’onirisme et repoussant à l’arrière-plan un récit particulièrement énigmatique. Dédié aux Rohingyas, le film sème quelques indices ténus, mais il joue à entretenir l’incertitude dans l’esprit du spectateur jusqu’à basculer dans sa dernière ligne droite dans un étonnant renversement conceptuel qui apporte un relatif éclaircissement symbolique sur ses intentions narratives. Une confusion savamment entretenue (le cinéaste a aussi signé le scénario) qui pourra en agacer certains, d’autant plus que le rythme de l’intrigue minimaliste est à dessein ralentie, mais qui ne doit pas occulter l’essentiel : sur le plan purement cinématographique, Phuttiphong Aroonpheng est à l’évidence un grand talent en devenir.
Manta Ray tourne autour de l’histoire d’une rencontre sur laquelle plane une ombre originelle de danger comme le suggère la fascinante scène d’ouverture voyant un homme armé, enceint d’une guirlande lumineuse multicolore, progresser dans l’obscurité de la jungle, puis un groupe d’individus entourer un corps (un cadavre ?) attaché. Parmi eux (mais est-ce vraiment le début du film ou une scène finale replacé en introduction ? difficile à dire...) figure un jeune homme (Wanlop Rungkumjad) dont on ne connaîtra jamais le nom. Pêcheur sur un cargo et aimant, à ses heures perdues, dénicher dans la forêt des pierres précieuses qu’il jette ensuite à la mer pour attirer les raies manta, ce solitaire plaqué par sa femme découvre un homme à demi-mort qu’il soigne et héberge dans sa cabane. L’inconnu (Aphisit Hama) est muet et le restera au fil du temps qui passe, une grande complicité s’instaurant entre les deux hommes. Mais bientôt le pêcheur disparaît, prétendument noyé, et un peu plus tard son ex-femme (Rasmee Wayrana) resurgit...
Délibérément cryptique, Manta Ray se révèle finalement une parabole sur l’identité, sur la perception que ce qui semble étranger n’est en réalité qu’un autre reflet de soi-même. Une construction du film en boucle plutôt artificielle qui est surtout pour le cinéaste une simple enveloppe contenant une profusion de qualités formelles, des ambiances sonores suggestives aux cadres magnifiquement maîtrisés. Un potentiel dont on est d’ores et déjà très curieux de connaître les futurs développements.
Produit par la société française Les Films de l'Étranger avec les Thaïlandais de Diversion et Purin Pictures et les Chinois de Youku Pictures, Manta Ray sera aussi projeté dans la section Discovery du 43e Festival de Toronto et dans la section Zabaltegi-Tabakalera du 66e Festival de San Sebastian. Les ventes internationales sont assurées par Jour2Fête.
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