Critique : Radiograph of a Family
par Kaleem Aftab
- Firouzeh Khosrovani décroche le Prix du meilleur long-métrage documentaire à l’IDFA avec un superbe essai personnel sur notre monde divisé
Radiograph of a Family [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], gagnant du prix du meilleur long-métrage documentaire à l'IDFA (lire l’article), est une superbe articulation de souvenirs personnels sur le mariage de ses parents par la réalisatrice iranienne Firouzeh Khosrovani (Fest of Duty, Profession: Documentarist). Cette coproduction entre la Norvège, la Suisse et l’Iran brille par son langage poétique exquis et doté d'une portée épique telle que, malgré la tristesse du récit qui nous est conté, le film donne l’impression d'être face à un chef-d’œuvre de la littérature perse.
Il y a une excellence formelle dans l’usage qui est fait ici des photographies présentées à l’écran, à la hauteur de ce qu'a fait Chris Marker dans ses films. Ces photos sont intercalées avec des images en mouvement issues d’archives, avec du grain, images qui font l'effet d'avoir été exhumées des caveaux secrets de la poétesse et réalisatrice iranienne Forough Farrokhzad. Tout ici est exquis, et véhicule dans une totale économie de moyens une immense quantité d’informations. Il y a des images historiques de l’Iran, de la Suisse, de l’Italie, de Paris et de Londres qui laissent bouche bée, au fil d'un parcours qui surprend tout du long.
Et comme si ce n'était pas assez, ces images sont rendues encore plus vivantes par la voix off magique qui les accompagne. Il y a trois voix : celle de notre narratrice la réalisatrice Khosrovani (en fait représentée par la voix de la monteuse du film, Farahnaz Sharifi), qui évoque ses souvenirs et réminiscences avec la musicalité et la douceur qu'on peut attendre d'une histoire réalisée en Iran, un pays qui nous a donné Rumi et Hāfez et où on accorde une si haute valeur à la poésie. Les autres voix se font entendre lors de reconstitutions de conversations que ses parents (auxquels prêtent leur voix Soheila Golestani et Christophe Rezai) auraient pu avoir, en tant qu'individus peu compatibles qui se sont trouvés catapultés ensemble quand "ma mère s’est mariée avec une photo de mon père". Et elle entend cela tout à fait littéralement.
Cette histoire n’est pas seulement celle d’un mariage entre deux personnes avec une grande différence d'âge qui a commencé quand le père de la réalisatrice, Hossein, a demandé à la famille de sa mère, Tayi, de s'occuper du mariage en son absence, puisqu'étant étudiant en radiologie en Suisse, il ne pouvait pas revenir en Iran. Hossein avait vu Tayi à un petit événement et il était immédiatement tombé amoureux. Ce que l’Iranien occidentalisé ne pouvait savoir et prendre en compte dans ses tractations, c'est que la jeune épouse serait si orthodoxe dans ses vues religieuses et ne se laisserait pas séduire par l'idée selon laquelle la vie séculaire libérale européenne est la meilleure.
Ainsi commence une histoire qui, de manière poignante et sans diaboliser personne, explore des visions divergentes qui semblent polariser le monde quant au genre de société ou de vie qui est préférable. Ici, le récit a l'Islam et la Révolution iranienne de 1979 comme toile de fond, mais il pourrait tout autant renvoyer aux très apparentes divisions existant actuellement aux États-Unis, qui sont ressorties et devenues très apparentes pendant l’élection présidentielle de 2020.
Ce qui est saisissant ici, c'est la manière dont Khosrovani raconte son histoire, selon la perspective de quelqu’un qui a un pied dans chacun des deux camps. Son amour pour ses deux parents est apparent, même au moment où l’histoire prend quelques tours surprenants et où sa mère docile devient une combattante luttant pour que sa vision du monde l'emporte, tandis que les différents points de vue existant au niveau mondial sur la question viennent scinder leur foyer. C’est un de ces dénouements rares qui semblent à la fois inévitables et complètement surprenants.
Radiograph of a Family a été produit par Antipode Films, Rainy Pictures, Dschoint Ventschr Filmproduktion et Storyline Studios. Les ventes internationales du film sont gérées par Taskovski Films.
(Traduit de l'anglais)