Critique : Censor
par Marta Bałaga
- Dans ce premier long-métrage très maîtrisé par Prano Bailey-Bond, un censeur de films d’horreur entame une longue descente vers quelque chose qui ressemble à la folie la plus totale
S'il faut prouver que les "video nasties" (films d’horreur à petit budget sur VHS) sont des trésors qui n'en finisssent pas de déployer leurs merveilles, la réalisatrice galloise Prano Bailey-Bond en fait son affaire. Dans Censor [+lire aussi :
interview : Prano Bailey-Bond
fiche film], qu'on peut aisément classer parmi les films les plus intrigants qu'ait présentés le Festival de Sundance cette année, on sent assez d’affection pour le genre pour nous convaincre de "prendre le taxi de l'horreur" (le taxi ou le train, d'ailleurs, si on se réfère à la chanson "Nasty" par The Damned) et tomber amoureux de cette invention qui a été si vivement raillée pour ses images de violence, de sexe et parfois de cannibalisme, ce qui a abouti à rien de moins qu’un mouvement de panique de masse. Cela dit, Censor [+lire aussi :
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fiche film] n’est pas un simple hommage à ces films du genre qui se vendaient sous le manteau, planqués dans un sac en papier : ce titre raconte vraiment une histoire, sincère et amusante, ponctuée par des observations charmantes, du genre "Bon, il va falloir se calmer un peu sur les yeux crevés". Ah, les vieux magasins miteux de location de VHS... Ce serait tout de même chouette qu'ils rouvrent, qu'on puisse retrouver tout cet univers.
S'il faut se calmer un peu, c'est aussi parce que l'héroïne du film, Enid (Niamh Algar), exerce le métier de (à voix basse, s'il vous plaît)... censeur. En plus, elle fait ça très méticuleusement, car elle prend son travail beaucoup plus au sérieux que la plupart de ses collègues, que les corps démembrés et les scènes de viol ne dérangent pas spécialement. Les discussions entre eux sont très divertissantes quand ils débattent de ce qu'on peut laisser ou ce qu'il faut couper, citant parfois Shakespeare, alors qu'on ne voit pas le rapport. L'ensemble de l'opération est étonnamment révélatrice, sur eux, aussi, puisqu'ils discutent de ce qui les gêne eux dans ces films. Cependant, Enid a beau avoir le professionnalisme bien droit dans ses bottes, elle a l’air de plus en plus éreintée. C'est là qu'elle se retrouve à devoir évaluer un titre, Don’t Go in the Church, qui réveille un souvenir qu’elle préférerait garder enfoui. Dès l'instant où elle voit les deux petites filles du film, perdues dans les bois, ses précieuses notes ne peuvent plus l'aider.
Enid, dont la sœur a disparu il y a bien longtemps (un événement dont elle dit qu'elle a tout, vraiment tout, oublié), se met à croire que la personne que ses parents préféreraient faire enfin déclarer morte est en réalité toujours vivante et continue de courir, terrifiée, dans les bois, mais cette fois pour de l’argent – c'est qu'il y a cette actrice rousse... et la ressemblance est frappante. Malgré tout cela, sa descente vers un état qui s'avère être un état de folie totale se fait lentement - il faut dire que ça ne cadre pas franchement avec son style de bibliothécaire ni avec son approche pragmatique de son travail : la folie, c'est ce qu'on coupe du film, pas ce qu'on a tendance à ramener chez soi à la fin de la journée. Mais quand un meurtrier sévit dont beaucoup pensent qu'il s'est inspiré d’un des films qu’elle a approuvés, entre la frénésie des tabloïds et les appels téléphoniques malveillants, Enid commence à remettre en question bien plus que sa propre santé mentale.
Il est intéressant de noter que notre personnage, dont on peut considérer qu'elle est atteinte d'amnésie sélective, fait à son esprit ce qu’elle fait à aux films qu'elles évaluent : elle écrème des éléments, çà et là, à moins qu'elle ne coupe entièrement, tout simplement (bye bye !). Sa vie pourrait être un film PG-13 soumis à accompagnement parental où elle serait en sécurité et où il ne lui arriverait rien au-delà de l'occasionnel pervos anonyme qui vous reluque de haut en bas, mais c'est parce que les moments les plus juteux ont vite été balayées et qu'elle craint, de fait, que la moindre chose excitante, n'importe quoi, pourrait tout faire revenir d'un coup. Ce serait génial, soit dit en passant, de voir, vraiment voir, tous ces moments revenir dans un esprit de vengeance, dans toute leur gloire totalement gratuite, et ce sur une durée beaucoup plus longue que celle que tolère la patience de Bailey-Bond, à en juger la manière dont elle précipite la fin du film. C’est un peu décevant, surtout après qu’elle ait passé tant de temps à montrer ce qui se passe aussi autour du personnage d'Enid, notamment cette société des années 1980 qui s'accroche à l’idée que la faute de toutes les souffrances revient aux films, qu'on va enfin faire pouvoir porter la faute de tout à quelqu'un, n'importe qui. Clairement, ils oublient que "l’horreur est déjà là, en chacun de nous". Vous n’avez pas idée.
Censor a été produit par Silver Salt Films au Royaume-Uni. Les ventes internationales du film sont gérées par Protagonist Pictures.
(Traduit de l'anglais par Julie Maudet)
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