Critique : Reconciliation
par Vladan Petkovic
- La Slovène Marija Zidar aborde le sujet des rivalités de sang au nord de l’Albanie et livre un documentaire riche en suspense qui fait réfléchir
Reconciliation, le premier long-métrage de Marija Zidar, est un documentaire passionnant qui aborde beaucoup de sujets qui font réfléchir, en particulier les vendettas dans l’arrière pays montagneux du nord de l’Albanie. Le film a fait sa première mondiale à CPH:DOX, dans la section compétitive Next:Wave, et bien qu'il puisse faire l'effet d'être un premier travail inattendu de la part d'une réalisatrice slovène, on constate en le regardant que cette cinéaste et ce thème se sont très bien trouvés.
"Quand vous parlez du Kanun, le monde entier sait que c'est albanais, nous ne sommes connus pour rien d’autre", déclare Gjin Marku Gaël, le président de l'ONG Comité de réconciliation nationale, lors d'un dîner-réception avec les aînés du village où le film se passe principalement. Dans les zones rurales, ce code ancien qui remonte au XVe siècle et régule tous les aspects de la vie est largement prépondérant par rapport au droit civil moderne. La loi dont Zidar traite ici en particulier est celle de la vengeance du sang par le sang.
Le mécanisme, en général, bien connu : quand un membre d’une famille tue un membre d’une autre famille, la fierté et l’honneur requièrent que la deuxième tue à son tour pour se venger, et cela peut continuer pendant des siècles. Il est estimé qu'au nord de l’Albanie, 3000 personnes vivent enfermées chez elles par crainte de ce genre de rétribution. Le cycle peut être arrêté si une famille décide de pardonner, mais c’est très compliqué.
Ce film se penche en particulier sur le meurtre de Gjyste, tuée par balle en 2013 alors qu'elle avait 18 ans. Le documentaire commence un an après. Le père de Gjyste, Gëzim, est cousin germain avec l'assassin, Fran (leurs pères sont frères), qui est en prison, où il purge une peine de 14 ans de réclusion. Même leurs terres se touchent. C'est d'ailleurs comme ça que l'homocide s'est produit, même si les circonstances exactes de cette histoire dépendent de qui la raconte. Quoi qu’il en soit, il semble que Gjyste ait reçu une balle au départ destinée à son père.
À présent, Gjin et l'évêque local voudraient convaincre Gëzim de pardonner. Gjin, d'âge moyen, est un personnage très sympathique : son ONG étant sous-financée et harcelée par les mouvements de droite, on dirait qu’il se bat seul contre des siècles de tradition. Son intention est d'ériger un temple dans un lieu historique et de faire de Gjyste un symbole du sacrifice et du pardon. L'évêque, de son côté, essaie d’en appeler à la conscience chrétienne de Gëzim.
La dualité, la contradiction même, entre le Kanun et la foi chrétienne est un des aspects les plus intéressants du film. Dans une scène, Gëzim et Pjetër, le frère de Fran, se retrouvent à travailler, chacun dans son champ, à côté l’un de l’autre et se mettent à se disputer sur la loi qui prévaut entre le Kanun et celle de Dieu.
Gëzim a beau dire à Gjin "ce n’est pas une question d'ego : c'est Dieu qui doit pardonner", en réalité, c'est totalement une question d’ego. Le Kanun est la loi qui protège la fierté des hommes, et où "homme" ne peut signifier qu'individu de sexe masculin, alors que la Bible prêche le pardon et que les lois civiles en vigueur sont perçues, dans ces lieux, comme quelque chose qui est imposé de l’extérieur. L'ironie du sort est que c’est une femme qui va décider de l’issue des négociations entre tous ces doyens et patriarches imbus de leur propre importance, dans une scène surprenante, touchante et immensément gratifiante.
Il y a beaucoup de segments ici qui se prêtent, de manière très intéressante, à l’interprétation, comme par exemple quand Gëzim, tendu entre sa fierté et sa compréhension hésitante du fait que l’objectif de Gjin est avant tout de faire ce qui est juste, porte une croix que le président de l’ONG l'a convaincu de mettre sur la tombe de sa fille, en guise de symbole de réconciliation. Par ailleurs, les magnifiques paysages montagneux qu'on voit ici, très élégamment filmés par le chef-opérateur et coproducteur du film, Latif Hasolli, lui donnent ainsi qu'à son thème une dimension épique. La musique composée par Dimitrije Vasiljević consiste en un bourdonnement pensif, souvent chargé de suspense, avec une couleur ethnique légère et de très bon goût.
Reconciliation a été coproduit par Vertigo (Slovénie), Baš Čelik (Serbie), Seagull Entertainment (Monténégro) et Dera Film (Kosovo).
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.