Critique : Bonne mère
par Fabien Lemercier
- CANNES 2021 : Avec son second long de réalisatrice, Hafsia Herzi perfectionne son approche néo-réaliste au cœur vibrant et chaotique d’une famille soutenue par le pilier de l’amour maternel
"Tant que je resterai debout, je serai solide". C’est le portrait d’une mère courage, mais aussi le tableau d’une famille, d’un quartier et plus largement de la ville de Marseille que Hafsia Herzi façonne, dans un style néo-réaliste brut, affectueux et convainquant, avec Bonne mère [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Hafsia Herzi
fiche film], dévoilé au programme Un Certain Regard du 74e Festival de Cannes. Un long métrage qui creuse avec sensibilité et dans des conditions de production beaucoup plus professionnelles, le sillon initié par la cinéaste avec Tu mérites un amour [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Hafsia Herzi
fiche film] (découvert à la Semaine de la Critique 2019).
Connaissant intimement son sujet, les décors et les atmosphères populaires des quartiers Nord où elle a grandi (et où la pauvreté et le chômage sont toujours d’actualité), la lumière qui baigne la cité phocéenne, et surtout ces habitants des zones dites défavorisées, ces femmes et ces hommes que les difficultés de l’existence rapprochent, la cinéaste opère un cinéma vérité sans fard, mais sans surlignage non plus. Car ce qui l’intéresse, ce sont les humains, les visages, l’amour en dépit des obstacles.
"Qu’est-ce qu’il y a de plus beau que les enfants, au monde ?" Rien pour Nora (Halima Benhamed) qui traverse la ville à l’aube vers l’aéroport et la petite équipe soudée qui nettoie les avions en rotation incessante, avant d’enchaîner un deuxième job d’assistante de vie auprès de Viviane (Denise Giullo), une vieille dame devenue quasiment une amie. Puis il est temps de rentrer dans les quartiers Nord s’occuper de sa propre famille qu’elle adore, mais qui lui donne bien des soucis. Car l’aîné de ses enfants, Ellyes (Mourad Tahar Boussatha), est en prison et Nora héberge sa belle-fille Muriel (Justine Grégory), caissière dans un supermarché, et son petit-fils, l’adolescent Jawed (Jawed Hannachi Herzi). Le second fils, Amir (Malik Bouchenaf), passe son temps à glander sur des jeux vidéo et se croire le roi du monde. Quant à Sabah (Sabrina Benhamed), c’est la fille-mère isolée (le père est inconnu) de Maria (sur le point de fêter ses quatre ans). Ajoutez les truculentes copines de Sabah, Coralie (Noémie Casari), Anissa (Anissa Boubaker) et Ludivine (Saaphyra), et vous aurez un aperçu du chaotique groupe haut en couleurs étudié in vivo par la réalisatrice.
La pauvreté, c’est avoir économisé 15 ans pour enfin avoir de belles dents et devoir y renoncer en vendant aussi ses bijoux (jusqu’à son alliance) pour payer l’avocat de son fils, ce sont des jeunes rêvant d’oseille pour échapper au RSA et qui se font embringuer dans de la prostitution déguisée, ce sont des points de deal dans les quartiers, de la variété le soir à la télévision, des superstitions et une culture de la rue. Mais aussi de la chaleur humaine, des sentiments intenses, et les sacrifices quotidiens d’une mère.
Interprété quasiment intégralement par des non-professionnels ultra crédibles (dont la protagoniste dont le visage est un véritable paysage), Bonne mère colle sa caméra au tumulte des jours banals et dresse un état des lieux sans complaisance, mais avec bonté, de ce microcosme familial, reflet de la société environnante. Une franchise qui fera sans nul doute réagir ceux qui ne veulent pas savoir comment vivent les pauvres, mais dont Hafsia Herzi désamorce la pesanteur mélodramatique en injectant un humour salutaire. Car comme le dit la chanson de Nacash : "Y a tant de rires, y a tant de larmes Des chagrins et des peines, sous le soleil".
Produit par SBS Productions et coproduit par Arte France Cinéma, Bonne mère est vendu par SBS International.
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