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BERLINALE 2022 Encounters

Critique : Journal d’Amérique

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- BERLINALE 2022 : Dans cet essai vidéo composé d’images historiques amateur, le réalisateur Arnaud des Pallières s’immerge de nouveau dans le mythe américain

Critique : Journal d’Amérique

Dix ans après avoir déjà recouru à des archives cinématographiques montrant le quotidien des Américaine dans Poussières d’Amérique (2011), le réalisateur et essayiste Arnaud des Pallières revient proposer un autre parcours dans ce pays d'Outre-Atlantique American Journal [+lire aussi :
interview : Arnaud des Pallières
fiche film
]
. Ce film-essai, configuré comme un carnet de bord, part de souvenirs d’enfance débordants d'innocence pour arriver au traumatisme de la guerre et de la désillusion, le tout présenté à travers des impressions visuelles rares, filmées en des décennies qui sont à présent loin derrière. Le film a fait sa première dans la section Encounters de la Berlinale le 14 février.

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Une idée du rêve américain s'exprime là qui scintille, dans un premier temps, à travers une multitude de petits scénarios filmiques romanticisés : des fermiers qui déplacent une grange, des gens élégamment vêtus et coiffés de chapeaux qui vaquent par centaines dans les rues, des voitures brillantes qui conquièrent l'immensité des routes infinies et d’une campagne pittoresque. "Je me souviens d'un rêve où je trouvais des pierres précieuses que je voulais donner à mes parents", dit un carton. En vérité, l'ensemble est un rêve, une idée romantique d’un endroit, mais quand le narrateur perd les cailloux à travers un trou dans sa poche ou, plus tard, rêve qu'il attrape des poissons pour se réveiller dans un train, ce rêve ne peut plus jamais être obtenu ou saisi. C’est une illusion d'idéaliste.

Le sujet de ces petits bouts de récit qui nous sont dévoilés au fil des cartons a d'abord été formulé par de célèbres artistes, philosophes et écrivains. Russell Banks et Stephen Crane sont cités, mais aussi Walter Benjamin, Arthur Schopenhauer et Jorge Luis Borges. Ces derniers ne sont pas des auteurs américains, mais après tout, l'Amérique a-t-elle jamais été un projet monoculturel ? Mark Twain est ici une autre source d'inspiration célèbre, qu'on reconnaît facilement dans le récit du (faux) frère jumeau perdu.

Quoique les mots conservent leur éternelle actualité, il y a quelque chose de daté, et cependant de fascinant dans les images à gros grain que des Pallières a sélectionnées et dans leur ancrage dans des temps révolus. Regarder des gens mener leur vie quotidienne entre ce qu'on peut identifier comme la fin des années 1930 et le début des années 1970 renvoie à l'idée d'un pays au passé glorieux, dont la gloire va être remise en question sur les 112 minutes que dure le film. Le narrateur rêvait, donc, nous dit-il régulièrement, et peut-être c'est aussi le cas de ce rêve américain idéaliste.

Alors que les premières minutes du film présentent une sélection assez lâche d’images filmées et de motifs (des maisons, des foules humaines, le trafic, l’océan), à mesure que le film avance, les extraits du carnet de bord et les visuels se correspondent de manière de plus en plus coordonnée. Des sons et de la musique sont ajoutés artificiellement. Le film, comme ses cartons, évoque un film muet et l'ère du 8mm, désormais si loin, bien que l'ensemble ait été agencé de façon à répondre à la sensibilité moderne. Le film est subjectif, nous montre des Pallières, car tout est une illusion diégétique. Et du reste, plus avant dans le récit encore, film et texte se mettent à diverger. À un moment, le réalisateur indique sa propre intervention, sa manipulation du matériau : "Ce film est mien et il n'est pas mien", explique-t-il. Le regard n'est peut-être pas le sien, mais l’arrangement et les omissions sont bien de lui.

Alors que les premiers extraits du carnet de bord parlent avec euphorie de rêves de poissons, de cailloux et de fées, la deuxième moitié est caractérisée par un niveau croissant de combattivité et d'endoctrinement. Les images changent et passent d’une iconographie américaine plus mainstream (avec des restaurants de burgers bondés) à autrechose, quand le carnet se met à débattre de l'extinction de civilisations extraterrestres hautement développées. On suppose que ces associations évoquent une idée du déclin des accomplissements humains et sociétaux.

Les élégants gratte-ciel new-yorkais, les gares fourmillantes de monde et les rochers dans le désert font place à une orchestration presque fétichiste de navires de guerre, de soldats souriants et d'immenses piles de cadavres. L’auteur du carnet se souvient pourquoi il s'est engagé dans l’armée : "parce que mon grand-père s'est battu contre ces bâtards, et mon père aussi". Quels bâtards, demande son interlocuteur : "Eh bien : eux".

"Tais-toi et fais ce que on te dit", dit-on à l'auteur du carnet à un moment. Il n’a pas besoin qu'on le lui dise : il est déjà en train de célébrer la victoire sur ces "sous-hommes". Est-ce un problème spécifiquement américain qu'aborde des Pallières, un problème qui contraste fortement avec les jolies routes de montagne et les enfants joyeux à une fête foraine ? "Les petits poissons joyeux ont meilleur goût", dit le carnet, formulant une métaphore alambiquée qui suggère que les hommes sont devenus des requins, or du poisson, se dit-on, on en trouve dans toutes les mers et tous les océans du monde.

American Journal a été produit par Les Films Hatari. Les ventes internationales du film sont assurées par Les Films de l'Atalante.

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(Traduit de l'anglais)

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