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HOT DOCS 2022

Critique : How the Room Felt

par 

- Dans son premier long-métrage, qui s’intéresse à la communauté LGBTQ+ en Géorgie, Ketevan Kapanadze défend le choix de se terrer chez soi

Critique : How the Room Felt

Les choses n'ont pas été faciles pour la communauté LGBTQ+ en Géorgie ces dernières années, la Gay Pride de Tbilisi ayant été annulée en 2021 après de violents affrontements et des manifestations qui ont affecté la sortie locale du film Et puis nous danserons [+lire aussi :
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de Levan Akin, sur l’amour interdit de deux danseurs de sexe masculin. De fait, on aurait pu s’attendre à ce que le documentaire de Ketevan Kapanadze How the Room Felt [+lire aussi :
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(au programme à Hot Docs), sur un groupe d'amies femmes ou non-binaires qui trouvent refuge dans une équipe de football féminine locale, soit un film en forme de cri perçant à plein volume. Mais ce n’est pas le cas : ce travail "parle doucement", comme dans la vieille chanson de Kurt Weill.

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Cela tient sans doute aux personnes que Kapanadze choisit d’observer, qui n'ont clairement pas l’intention de descendre dans les rues de sitôt. Elles se cachent dans de petits appartements, se créant le genre d’espace sûr qui vous fait presque oublier le monde extérieur – presque parce qu’on peut encore l’entendre dehors, ainsi que les confrontations et les commentaires haineux. Quand quelqu’un prêche "la propagande LGBTQ+ doit s’arrêter !", un des personnages se contente de continuer de plier calmement ses vêtements. On peut supposer qu'elle a déjà entendu ça mille fois, qu'elle sait déjà que le simple fait qu’elle existe est trop pour certaines personnes. Vivre sa vérité – vivre, tout simplement – peut parfois suffire pour constituer une déclaration de principe.

Le film de Kapanadze est une approche sincère du motif de la survie dans certains pays (peut-être la plupart) de la région. Il y a eu beaucoup de films sur de jeunes activistes, dernièrement, mais tout le monde ne veut pas se battre, tout le monde n’est pas prêt à subir de nouveau de la violence, même si ça signifie mener une existence de planqué – car la sensation d’étouffement vient vite, en regardant ce film. Ce cadre a rappelé à l’auteure de ces lignes L'Apollonide : souvenirs de la maison close [+lire aussi :
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de Bertrand Bonello, du moins l'atmosphère qui y règnait, épaisse et feutrée, mais favorisant la naissance de vraies connivences.

Les critiques disent souvent qu'un réalisateur "suit" ses personnages (c'est vrai, on fait ça), mais ce que fait Kapanadze, c'est plutôt de s'asseoir à côté d'elles, écoutant leurs commentaires alcoolisés sur les chansons de John Lennon, leurs disputes, leurs compliments gênés ou encore le bruit constant de la fumée de cigarette qu'on recrache – à vrai dire, ça fume tellement dans ce film qu’on a envie d'aérer ses vêtements en sortant. Ici, quand quelqu'un quitte ses murs, et c'est rare, c'est pour jouer au football, mais ça non plus ne se passe pas si bien que ça – les salaires vont bientôt être revus à la baisse et certaines joueuses sont grosso modo en train de saboter leur propre avenir.

Kapanadze, qui a choisi de reprendre, pour donner un titre à son film, un vers du poème Suspension d'Audre Lorde (qui se décrivait, selon la Poetry Foundation, comme “noire, lesbienne, mère, guerrière, poètesse") maintient tout du long un climat de mélancolie. Seul un bon verre de quelque chose semble pouvoir brouiller le souvenir de toutes leurs familles, solidaires dans leur haine de leur fille (ou petite-fille), et même si les membres de ce groupe s’accrochent désespérément les unes aux autres, la douleur domine. Lorde, qui traitait aussi de questions raciales, a écrit : "Ça fait longtemps / que je suis femme. / Attention à mon sourire / je trahis à grands coups de vieille magie / et la fureur nouvelle de midi". On espère que cette petite famille dysfonctionnelle, ainsi que beaucoup d’autres, aura un jour une chance de sortir en plein soleil.

How the Room Felt a été produit par Salomé Jashi pour Jashi Film (Géorgie). Les ventes internationales du film ont été confiées à Syndicado.

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(Traduit de l'anglais)

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