02/08/2022 - Cette histoire de détectives pour ados par Jerôme Larcher et Catherine Regula vise avant tout un jeune public, mais son élément musical représente une approche urbaine et nouvelle de ce genre

Et si Jacques Demy, le légendaire réalisateur de comédies musicales et Angèle, la star de la pop actuelle, faisaient une série ? Historiquement, c’est impossible, mais il est fort probable que ces deux noms ont été les premiers à être cités lors des séances de brainstorming pour la série musicale française ReuSSS, présentée en début d’année aux festivals Séries Mania et Série Series.

En dix épisodes plutôt courts (17 à 20 minutes chacune), mais irrésistibles, nous suivons l’histoire de trois adolescentes inséparables (le terme "reuSSS" est l’équivalent de "sistah" en argot français) qui laissent derrière elles le lycée et confrontent leurs peurs et leurs aspirations avec la réalité. Il y a Hanane (la jeune révélation Inès Ouchaaou), jeune fille bavarde, grande lectrice, qui rêve de s’échapper de la cité où elle vit. Vient ensuite Ambre (Charlie Loiselier, aperçu dans la version française de Skam) qui vient d’être acceptée dans une école de danse classique, mais commence à s’intéresser au hip-hop, et enfin Maïssa (Assa Sylla, une autre élève de Skam), responsable du foyer en raison d’une mère dépressive, ce qui ne lui laisse pas de temps de s’occuper du triangle amoureux au cœur duquel elle se trouve. Sans oublier le grand frère d’Hanane. Ce dernier s’est attiré les foudres du gang du quartier, et c’est à notre trio d’adolescentes qu’incombe la lourde charge de faire la lumière sur cette affaire, en jouant les détectives à la Veronica Mars.

Et, oui, elles chantent ! Et la plupart du temps, elles tapent dans le mille, ce qui est en soi un véritable exploit, étant donné le mépris des spectateurs à l’égard des comédies musicales (une chanson suffit pour perdre l’adhésion de la moitié du public). Les chansons originales du film, qui vont de ballades languissantes à des airs de hip-hop plus actuels, ont été produites par le rappeur Brav. Et alors que les premières sont un peu dépassées, les secondes n’ont aucun mal à susciter le plaisir que l’on a à écouter des stars de la scène francophone comme Stromae, Angèle et Orelsan. Les morceaux qu’interprète d’Ambre en particulier semblent instantanément être des succès, d’autant plus que l’histoire de la danseuse qui passe du ballet au genre urbain est certes un cliché, mais un cliché très racoleur. Les créateurs de la série Jérôme Larcher (qui a travaillé sur des programmes comme La Cour des grands et Tropiques Criminels) et Catherine Regula ont fait le choix judicieux de limiter le nombre de morceaux dans chaque épisode, nous laissant ainsi le temps nécessaire pour nous imprégner de ces nouveaux airs et les apprécier. Pour tout dire, ReuSSS est, pour les séries musicales, aux antipodes de la série jukebox Glee.

Cependant, malgré son ambition et son originalité débordante, la série est susceptible de n’intéresser que de jeunes adolescents. Curieusement, ce phénomène n’est pas dû aux chansons, mais plutôt à l’enquête des filles sur le gang du frère d’Hanane. Le format de la série est probablement suffisamment fantaisiste pour nous permettre d’adhérer à l’idée d’un Sherlock Holmes pour adolescents. Mais il y a quelque chose de déjanté dans la construction du récit, probablement dû au simple fait que nous regardons trois adolescentes jouer aux détectives dans un environnement criminel dangereux. À moins d’avoir grandi en regardant les innombrables rediffusions du Club des cinq, l’ensemble demeure improbable, surtout lorsque les gangsters se mettent à chanter ! Mais, malgré son obstination à jouer à "Scooby-Doo en banlieue", ReuSSS dépoussière le genre et le fait, en prime, avec élégance.

ReuSSS est une production de Lizland Films, création de Jérôme Larcher et Catherine Regula. La série a été écrite par Jérôme Larcher, Estelle Kœnig, Salif Cisse, Joël N’sita et Thomas Ducastel, et réalisée par Mohamed Chabane et Théo Jourdain. Elle sera prochainement diffusée sur France.tv Slash.

(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)