VENISE 2022 Giornate degli Autori
Critique : Les damnés ne pleurent pas
par David Katz
- VENISE 2022 : ce deuxième long-métrage par Fyzal Boulifa dresse un tableau des destins divergents d’une mère marocaine et de son fils, qui sont forcés d’accepter un travail itinérant et instable
Les jeunes réalisateurs-révélations font souvent leur entrée dans l’industrie du cinéma avec éclat, et des films à la mode. Il suffit de repenser à Xavier Dolan ou Julia Ducournau avec leurs tous premiers longs-métrages choc, super stylés. Fyzal Boulifa, un Britannique d’origine marocaine qui compte sans nul doute parmi les meilleurs nouveaux réalisateurs d'Outre-Manche, a un angle légèrement différent : sur la base de son excellent nouveau travail, Les damnés ne pleurent pas [+lire aussi :
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fiche film], et de son premier long-métrage, Lynn + Lucy [+lire aussi :
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interview : Fyzal Boulifa
fiche film], on peut dire que c'est un narrateur à l’ancienne, solide. Son travail ne fait pas d'effets de manches ni ne se met en quatre pour épater avec une mise en scène époustouflante : il maîtrise parfaitement les bases, ou plutôt l’essentiel, et adopte une approche presque à la Ken Loach dans la manière dont il montre les différents lieux où se déroulent ses films. Son nouveau long-métrage a fait sa première vers la fin des Giornate degli Autori de Venise, après quoi il jouera en compétition officielle au Festival BFI de Londres, en octobre.
Les damnés ne pleurent pas s'inscrit aussi dans une tendance : plusieurs nouveaux films sont apparus dans les festivals cette année (comme The Blue Caftan [+lire aussi :
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fiche film] et Joyland) qui font un vrai pas en avant dans leur manière de discuter et de dépeindre la situation des individus queer dans les pays majoritairement islamiques. Et au-delà de ce sujet, le film se préoccupe fortement du sujet du travail sexuel comme une trajectoire professionnelle forcée, mais ne l’emballe jamais dans un sentiment d’auto-apitoiement misérabiliste : dans le contexte encore austèrement traditionnel du Maroc urbain contemporain, c’est tout simplement une réalité de la vie, pour les personnages de prolétaires auxquels s'intéresse Boulifa. Un autre facteur souligne la manière dramaturgiquement classique qu'a ce réalisateur d’appréhender le monde : ici, l’acte de se prostituer peut aussi, d’une certaine manière, être une voie valide pour sortir de la pauvreté.
Bien que Fatima-Zahra et son fils grand adolescent Selim (joués par Aïcha Tebbae et Abdellah El Hajjouji, tous deux excellents dans cette première expérience à l’écran) soient liés par le sang, et souvent par la sécurité temporaire d'un même toit au-dessus de leur tête, leur relation est de l'ordre de la co dépendance, même s'ils ne peuvent s'en extirper, pour les raisons sus-mentionnées. Fatima-Zahra est depuis longtemps une travailleuse du sexe à Casablanca, mais après quelques coups durs pour elle et son fils, ils se lancent dans une nouvelle vie à Tanger, Selim ayant à présent l'âge de gagner sa vie. La nature de "coproduction française" du film se révèle alors à l’écran quand Sébastien (Antoine Reinartz, impressionnant dans les travaux de Robin Campillo et Olivier Assayas), un gentil hôtelier expat, embauche Selim, d'abord pour des travaux de rénovation, puis pour autre chose, après quoi il acquiert le statut hybride de domestique-concubin.
Fatima-Zahra se fait courtiser par un conducteur de bus initialement affable, Moustapha (Moustapha Mokafih), qui l'a faite passer en ferry avec son fils de Casablanca à Tanger et propose gentiment qu’ils restent en contact, sauf que cette façade placide (qui promet enfin une certaine stabilité domestique) masque un côté autoritaire, exacerbé par l'élan misogyne qui se manifeste dans l'éventail de relations bigames qu'il entretient. Ainsi, sur le papier, Boulifa, qu'on savait déjà influencé par Pasolini et Fassbinder et fait preuve ici d'encore plus de goût, pourrait être accusé d'immerger ses personnages dans le désespoir, de les harnacher, en scénariste astucieusement manipulateur, avec des obstacles dramaturgiques qui n'en finissent plus. Et pourtant, ce n'est pas le cas. La clef est dans le titre : les damnés ne pleurent pas. La vie, la préservation de soi et l’empathie que le meilleur cinéma peut offrir continuent, et les larmes sèchent toutes seules, comme dans la chanson d'Amy Winehouse.
Les damnés ne pleurent pas est une coproduction entre la France, la Belgique et le Maroc, pilotée parVixens en coproduction avec Frakas Productions et Kasbah Films. Les ventes internationales du film sont gérées par Charades.
(Traduit de l'anglais)
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