email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

MIRAGE 2022

Critique : Inner Lines

par 

- Dans ce film de Pierre-Yves Vandeweerd, le son du silence se heurte à une assourdissante cacophonie de voix

Critique : Inner Lines

Il est presque ironique de se dire que la coproduction franco-belge Inner Lines [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
de Pierre-Yves Vandeweerd, précédemment projeté à Visions du Réel, a eu le prix du meilleur design sonore au récent festival norvégien Mirage (lire l'article). À bien des égards, le film parle surtout de silence, de silence ou d'indifférence pure et dure, sur la terre des dieux, probablement par fatigue de voir tant de guerre et de douleur sans fin.

Inner Lines, tourné au pied du Mont Ararat, exemple parfait de ce que les gens tendent à appeler un film d'art et d'essai, n’est pas tout à fait silencieux, à vrai dire. Il réunit plusieurs témoignages de survivants et d'exilés, du côté des Yézidis et des Arméniens. Ils sont crus et impitoyables et passé un moment, ils deviennent affreusement familiers. C'est peut-être pour cela que Vandeweerd, accablé par le poids de ces histoires de corps torturés, assassinés ou manquants, s'évade en terre de poésie à un moment.

C’est un choix compréhensible, qui était probablement nécessaire. Il serait difficile pour certains spectateurs de tenir bon tout au long d'une histoire aussi brutale : à présent, le film fait plus mélancolique que violent. Inner Lines, qui est assez bref (il dure 87 minutes), commence mystérieusement sur l'image d'un pigeon en cage abandonné dans la neige, après quoi des photographies en noir et blanc flashent à l’écran pour disparaître l’instant d’après dans les ténèbres. Plusieurs visages ont défilé qui sont vite oubliés. "Je suis dans le noir, jour et nuit", dit quelqu’un. D'autres vont ressentir exactement la même chose.

"En stratégie militaire, les 'lignes intérieures' sont des issues situées près des lignes ennemies", est-il expliqué. Elles peuvent être utilisées par |es messagers et leurs pigeons voyageurs, pour aider à connecter des communautés perdues en plein théâtre de guerre. Mais quel genre d'issue et de connexion est vraiment possible ici, sur une terre tellement habituée à la violence que cette dernière ne la fait presque plus sourciller ? C’est une autre question. Vandeweerd continue de lister les conflits et les noms. Est-ce que c’est bien nécessaire ? Pas vraiment, à moins que ce ne soit une question de respect, ou de rendre hommage aux vies qui ont été perdues. Peut-être que le film gagnerait à s'engager pleinement dans cette direction plus rêveuse, car ce qu’il exprime est déjà clair.

Il fait quelque chose que beaucoup de réalisateurs font : il montre des gens debout sans bouger qui fixent la caméra d'un air un peu accusateur ou regardent au loin, peut-être pour chercher des yeux l'endroit où leur maison était avant, parfois les yeux humides, parfois mal à l'aise. Ils "étaient en paix comme leurs montagnes" jadis, disent-ils. Et puis cela a cessé.

Au lieu de "têtes parlantes", on a des têtes pensantes, avec un chœur de voix qui rappellent ce que les gens ne veulent pas dire tout haut. On n'entend d'ailleurs pas que leurs témoignages : il y a aussi des contes et de vieilles histoires, des discours politiques. Mais on ne les voit jamais parler en tant que tel, et leurs lèvres restent immobiles, comme pour montrer que certains secrets restent dans l'ombre et que certains actes ne sont pas punis. Peut-être qu’après tant d’années, il n’attendent plus vraiment que quelqu’un les entende.

Inner Lines a été produit par la société belge Cobra Films et la société française Les Films d’Ici Méditerranée. Les ventes internationales du film sont assurées par Les Films d’Ici.

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy