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DOK LEIPZIG 2022

Critique : Une vie comme une autre

par 

- Dans son documentaire, couronné à DOK Leipzig, Faustine Cros livre un tableau sombre et approfondi de toute une époque à travers une histoire douloureusement personnelle : celle de sa famille

Critique : Une vie comme une autre

Il est possible pour une personne de filmer sa famille tous les jours, et pourtant de ne pas voir ce qui est sous ses yeux. C’était certainement le cas de Jean-Louis, le père de la réalisatrice française installée en Belgique Faustine Cros, dont le premier long-métrage documentaire, Une vie comme une autre [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, a fait sa première mondiale à DOK Leipzig, y raflant la Colombe d’argent (lire l’article).

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Le film se compose principalement de vidéos amateurs faites par Jean-Louis, lui-même réalisateur, combinées avec des images que la réalisatrice a tournées dans le présent avec sa famille, qui comprend aussi sa mère Valérie, maquilleuse de cinéma, son frère Ferdinand et le chien Erbe.

Quand Faustine a commencé à faire ce film, elle avait 30 ans, l’âge de Valérie quand elle l’a eue, et elle dit que jusqu’ici, elle n’a pas été capable de reconnaître ce qui avait rendu sa mère dépressive, l'entraînant même à la tentative de suicide. À présent, elle se sent en mesure de lui en parler, mais Valérie n’a pas de réponse claire à lui donner. Elle se souvient seulement qu’elle voulait disparaître.

Mais le fond du problème se met à ressortir à travers son récit intéressant et émouvant. Après avoir eu ses enfants, Valérie a arrêté de travailler, ce qui, pour elle, a signifié, semble-t-il, qu’elle se retirait de la vie même. Elle était auparavant une professionnelle de l’industrie du cinéma respectée et bien payée, et une féministe – quoiqu'il n'est pas évident qu’elle l’ait reconnu dans ces termes.

Quand les enfants sont petits, c'est une maman joyeuse et spirituelle qui batifole avec eux, rieuse, blagueuse. Mais bien que cette phase se prolonge un certain temps, le spectateur, informé par ce qu'on sait aujourd'hui, voit très clairement des signes de dépression. Son mari la filme assise, la tête enfouie dans ses mains tandis que les enfants font du boucan au second plan, et garde son objectif fixé sur elle une demie minute, sans lui parler.

Interviewé par sa fille, il dit qu’il voulait continuer de filmer les moments heureux pour pouvoir montrer à sa femme que tout n’était pas négatif en dépit des "problèmes psychologiques" qui ont commencé à l'affecter. Ce n’est pas sa faute : il n’était pas équipé pour se rendre compte qu’elle ne s’est jamais remise du fait d'avoir perdu son travail par nécessité d'assumer les responsabilités qu'emporte la maternité. Il n'est d'ailleurs pas le seul : un psychologue a dit à Valérie qu'elle avait juste le "baby blues", et le médecin de famille lui a conseillé d’être "heureuse avec les siens". Et pourtant, on était déjà dans les années 1990, pas en 1890.

Valérie a essayé de reprendre le travail, mais trouver des emplois à temps partiel dans son domaine était impossible. Dans les petits films qu’ils faisaient en famille, elle s'est créé un alter ego, "La Valère", mi-bandit, mi-sorcière, probablement dans un effort de la part de son subconscient de séparer cette partie négative d’elle-même du fait qu’elle était mère. Il y a un segment particulièrement douloureux où Cros se rappelle ce qu’elle a écrit dans son journal intime quand elle avait sept ans, et comment La Valère y a réagi. Mais ce qui qui est encore plus bouleversant et puissant, c'est la scène où Valérie finit par s’exprimer. Après ça, Jean-Louis a arrêté de filmer sa famille.

Une vie comme une autre est un film délicat et sensible très personnel où Cros livre un tableau approfondi de toute une époque, sans formuler aucun jugement sur son père, ni sur les hommes en général. La combinaison de matériels d’archives, d’interviews récentes et de passages d’observation est divinement monté par Cédric Zoenen et Cros (elle-même monteuse aguerrie), créant un équilibre entre l’amour qui existe clairement dans cette famille et les moments les plus révélateurs et douloureux.

Une vie comme une autre a été coproduit par Dérives (Belgique) et Les Films d'Ici (France). La société suisse Lightdox en assure les ventes internationales.

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(Traduit de l'anglais)

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