Critique : Le Spectre de Boko Haram
- Le premier long-métrage de Cyrielle Raingou examine les plaies béantes laissées par l’organisation terroriste dans un village camerounais situé à la frontière avec le Nigéria
Le titre du premier long-métrage de Cyrielle Raingou, Le Spectre de Boko Haram [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], ne saurait convenir plus parfaitement à son sujet. Dans ce film, projeté dans le cadre de la Compétition Tiger de l'IFFR, où il a remporté le premier prix (lire l'article), la réalisatrice fait l'inventaire des répercussions des brutalités et de la débauche meurtrière de la notoire organisation terroriste du titre à Kolofata, un petit village au nord du Cameroun, à la frontière avec le Nigeria.
Le film commence sur un plan nocturne illuminé par un feu derrière lequel est assise une fillette. Elle raconte les circonstances affreuses dans lesquelles son père a été tué. Alors qu'il nettoyait une gouttière, l’homme a été abordé par des étrangers qui tenaient un poulet. Il leur a demandé s’il était à vendre et à quel prix et d’un coup, un des deux hommes a pressé un bouton sous ses vêtements et s’est fait exploser. Cette scène est suivie par quelques plans brefs montrant la communauté apparemment tranquille de Kolofata, avant que le calme ne soit rompu par le bruit de coups de feu, non loin du village.
Le témoignage de la petite et les scènes qui suivent constituent une ouverture simple mais efficace qui font bien comprendre au spectateur à quel point le spectre du titre reste en fait bien vivant dans les mémoires et la vie quotidienne de la communauté, malgré leurs courageux efforts pour tourner la page.
Raingou décide ensuite de s’intéresser plus particulièrement à un groupe d’enfants. Après avoir rencontré Falta Souleymane (la petite fille de la première scène), qui s’avère très mature pour son âge et désireuse de surmonter psychologiquement le destin de son père, on fait la connaissance d'Ibrahim Alilou et son frère aîné Mohamed, qui n'arrivent pas à se remettre des traumatismes vécus et à trouver l'équilibre entre leur vivacité et leurs bien plus banales obligations scolaires.
L’approche de la documentariste n’est jamais invasive et avant tout observationnelle. Le fait qu'elle connaît bien les villageois (notamment l’instituteur de l’école primaire locale, qui semble être une référence à Kolofata) et la réalité difficile qu'elle traite transparaît, clair comme de l'eau de roche, et lui permet d’être délicate et sensible avec ses jeunes sujets.
Ce qui crée un contraste prononcé à l’intérieur du film est la tranquillité surréaliste et l’aise avec laquelle les enfants reviennent sur les actes abjects dont ils ont été témoins, dans un village désormais gardé par l’armée. De leur côté, du moins en surface, les adultes semblent plus faibles, mais c'est bien là le sujet : comment chacun appréhende la douleur et les différents niveaux de conscience des choses qu'ont les gens à différents moments de leur vie.
En somme, voilà un documentaire émouvant où l'on peut trouver beaucoup de moments de grande sincérité. Il est frappant de voir, par exemple, une femme de 35 ans qui a perdu son mari dans des circonstances tragiques expliquer à sa toute jeune fille qu'elle est malgré tout reconnaissante d’avoir passé les meilleures années de sa vie avec l’homme qu’elle aimait, avec lequel elle ne se disputait jamais. Cette simple pensée suffit à présent à l'aider à continuer de vivre et s’occuper de son enfant.
Le Spectre de Boko Haram a été produit par la société camerounaise Tara Group et la française Label Vidéo, en coproduction avec les chaînes françaises Canal+ International et Télé Bocal.
(Traduit de l'anglais)
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