Critique : Dans l’angle mort
par Vladan Petkovic
- BERLINALE 2023 : Ce thriller à mystère d’Ayşe Polat tisse ensemble de nombreux thèmes dans un récit de style Rashomon, mais boucle l’ensemble un peu trop proprement pour son bien

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fiche film] de la réalisatrice kurde-allemande Ayşe Polat, un thriller à mystère raconté dans un style proche de Rashomon, part d'une prémisse intrigante. Le film parle de répression politique, de paranoïa et de transmission transgénérationnelle des traumatismes, tout en plaçant le spectateur dans une position où il ne peut qu'essayer de deviner les tenants et aboutissants de l'histoire, mais le dénouement est bouclé un peu trop proprement, laissant ledit spectateur assez insatisfait. Le film, qui a fait sa première mondiale dans la section Encounters de la Berlinale, devrait malgré ce travers faire un bon parcours dans les festivals qui accueillent volontiers le mélange entre la sensibilité cinéma d'auteur et les récits mâtinés d'une touche film de genre.
Une équipe de documentaire allemande composée d'une réalisatrice, Simone (Katja Bürkle), et de son caméraman Christian (Max Hemmersdorfer) arrive dans une vieille ville du nord-est de la Turquie pour faire un film sur Hatice, une vieille dame kurde dont le fils a été kidnappé par la police secrète 28 ans plus tôt. Ils sont assistés par l’avocat pour la défense des droits humains Eyüp (Aziz Çapkurt) et la traductrice Leyla (Aybi Era), qui amène avec elle une petite fille, Melek (Çağla Yurga), la fille de son voisin, à qui elle donne des cours d’anglais.
Ce chapitre, le premier de trois en tout, captive le spectateur par la tension politiques évidente et la combinaison de techniques cinématographiques qu'il réunit : au-delà de "notre" point de vue, représenté par les images filmées par le chef opérateur Patrick Orth (Toni Erdmann [+lire aussi :
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fiche film]), on regarde aussi à travers la caméra de Christian quand il met en place ses plans, et on voit des images sinistres qui représenteraient, dans un thriller conventionnel, la perspective du tueur. Tout ceci donne au film une teinte de film d'épouvante à partir de found footage, particulièrement quand Melek fait preuve d'une sorte de don comme médium.
Les choses prennent rapidement un tour plus inquiétant quand Eyüp vient à manquer et que Leyla confie à Simone que le père de Melek, Zafer (Ahmet Varlı), est un membre de la police secrète et veut leur accorder une interview en échange de l'asile en Allemagne. Le public comme Zafer se demande la coïncidence n'est pas un peu louche, et on va découvrir la réponse dans le chapitre suivant. Celui-ci suit un événement choquant qui ne survient qu’après une demi-heure de film, mais sur le plan chronologique, c’est là que l’histoire se termine.
À ce stade, on assiste aux événements selon la perspective de Zafer. On apprend que son père travaillait pour le même chef, et que tandis que Zafer surveille les Allemands et Leyla, on le surveille aussi : quelqu’un lui envoie des vidéos de sa famille. Le film bifurque ensuite sur le terrain du thriller paranoïaque. Varlı joue avec une intensité parfois un peu excessive, surtout qu’elle est encore davantage électrisée par le fait que Melek lui fait peur, à lui et à sa mère, en racontant des histoires sur un ami imaginaire qui semble en savoir bien trop.
Dans le dernier chapitre, raconté selon un point de vue "objectif", le plus gros du mystère est résolu, ce qui contrecarre largement tout le projet. Le film combine ses images principales avec des vidéos de smartphone et d'autres en caméra cachée, ce qui lui donne un aspect vaste et riche en surface, mais le montage trop propre de Serhad Mutlu et Jörg Volkmar rend sa structure trop évidente, ce qui le dépouille de toute magie cinématographique.
La ville où l’histoire se passe est toutefois un excellent décor, qui combine de magnifiques ruines anciennes avec des allées sombres et étroites et des sites de construction abandonnés. En tant que tel, c’est un cadre idéal et pour le mystère, et pour le thème qui surmonte l’ensemble, celui de la transmision du traumatisme d'une génération à l'autre, qu'on retrouve à deux niveaux : dans l’histoire de Hatice sur la répression des Kurdes et dans la profession (et le chef) violente de Zafer, qu'il a héritée de son père. C'est toujours l’innocent qui souffre des conséquences psychologiques destructrices. En l'espèce, Melek va continuer de porter ce fardeau.
Dans l’angle mort a été produit par la société allemande Mitosfilm. Les ventes internationales du film sont assurées ArtHood Entertainment.
(Traduit de l'anglais)
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