email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

BERLINALE 2023 Forum

Critique : Being in a Place – A Portrait of Margaret Tait

par 

- BERLINALE 2023 : Puisant son inspiration dans un projet jamais réalisé et les archives personnelles de son sujet, Luke Fowler compose un hommage à la pionnière du cinéma et poétesse Margaret Tait

Critique : Being in a Place – A Portrait of Margaret Tait

Aftersun [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
]
de Charlotte Wells, un titre qui ne remonte qu'à l'année dernière, mais fait d'ores et déjà figure d'oeuvre parmi les plus appréciées qu'ait jamais réalisée un(e) cinéaste écossais(e), lançait le spectateur dans une chasse fébrile aux indices dissiminés dans tous ses plans, comme un inspecteur de police évaluant une scène de crime. Dans ses deux temporalités, le passé et présent, la simple vue de certains objets fournissait une clôture narrative. On pense en particulier à un tapis turc qui apparaissait, dans un cas, comme un souvenir de voyage à ramener après les vacances, dans l'autre comme un objet à valeur sentimentale, mais le détail le plus subtil était la présence d'un recueil de poésies et de textes en prose par Margaret Tait sur l’étagère de la chambre d’hôtel du père, Callum, à côté d'un manuel de méditation. Sauf que comme dans ce film riche en symboles (indirects, chargés), la fille, Sophie, faisait figure d'avatar de Wells, que pouvions-nous déduire d’autre à partir de ce petit indice sur l’état d'esprit de son père ?

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

L'éclairante production cinématographique et littéraire de Tait, et le documentaire que Luke Fowler lui a consacré, Being in a Place - A Portrait of Margaret Tait [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, sélectionné au Forum de la Berlinale, fournit une forme de réponse, renversant complètement le concept de l'angoisse des artistes par rapport à leurs influences pour faire de celles-ci une précieuse manne – gardons aussi à l'esprit le fait que cette section de Berlin est aussi celle qui a accueilli un film où Paul B. Preciado célèbre Orlando de Virginia Woolf comme une oeuvre qui l'a aidé à révéler sa propre identité de genre. De son côté, Tait a été élevée ces dernières années, tout spécialement dans son pays, au rang de preuve même qu’un cinéma britannique personnel et artisanal peut exister et existe bel et bien (soutien institutionnel ou pas), et son travail constitue un précédent fort dont s'inspirer, en particulier pour les cinéastes indépendantes de sexe féminin.

Fowler, qui travaille à l'intersection entre création et patrimoine, se spécialise dans les portraits d’artistes radicales/aux qui ont été des pionnières ou pionniers mais abordent leur travail sous un angle oblique, à rebours du caractère littéral et trop facile ou digeste de la plupart des films biographiques. Being in a Place s'élabore, justement, à partir de traces littéraires et de reconstructions plus artificielles du travail de Tait. Fowler présente notamment des images du plan structurel de Heartlandscape, oeuvre de l'auteure restée à l'état de projet qui documente poétiquement sa maison, située dans l’archipel écossais des Orcades, à côté de plusieurs rushes inutilisés et de prises alternatives réalisées pour les courts-métrages les plus connus de Tait, comme A Portrait of Ga et Colour Poems.

Tait elle-même n'apparaît pas du tout dans l’assemblage de Fowler, mais sa voix, fragile et plus vieille que son âge à l'époque des enregistrements, se fait entendre dans plusieurs petits passages audio qui présentent son parcours, de ses études de médecine à son service en tant que médecin de l'armée pour le vieil Empire britannique puis à sa formation au cinéma à Rome, parmi les néoréalistes, avant son retour à Édimbourg et dans les Orcades pour se consacrer à une production artistique qu'on peut qualifier de régionale par excellence. Sa réputation comme poète publiée, parallèle à sa carrière de médecin, va rappeler au spectateur la figure de William Carlos William (dont l’iconique poème en 28 mots “This Is Just To Say” a connu une merveilleuse postérité en tant que meme sur les réseaux sociaux), ainsi que son collègue cinéaste Jonas Mekas, aussi déterminé dans son parcours et adepte de la caméra Bolex que Tait, en plus d'avoir lui aussi cherché à fusionner les traditions complémentaires de la poésie et du cinéma.

Quoique le film de Fowler reste avant tout une réponse douce et placide à l'artisanat pastoral de Tait, on y sent une fureur qui bouillonne en son sein, comme un tas de vers de terre cachés sous des feuilles mortes, prêts à sortir à la surface. Les mondes de l'art et du cinéma britanniques ont rejeté Tait en son temps, faisant d'elle une indépendante isolée, mais Fowler veut s’assurer qu’elle ne soit désormais indépendante qu'en esprit, pas en termes de notoriété et de succès posthume.

Being in a Place – A Portrait of Margaret Tait a été produit au Royaume-Uni par Luke Fowler et Sarah Neely.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy