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BERLINALE 2023 Forum

Critique : El juicio

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- BERLINALE 2023 : Le réalisateur argentin Ulises de la Orden a épluché 530 heures d’archives historiques pour composer un montage d’un des procès les plus importants d’Amérique latine

Critique : El juicio

La dictature militaire argentine de 1976 à 1983 est un sujet très apprécié dans le cinéma d’aujourd’hui. En septembre dernier, le film Argentina, 1985 de Santiago Mitre a été présenté en avant-première à la 79e édition de la Mostra de Venise. Le film raconte l'histoire des procureurs Julio César Strassera et Luis Moreno Ocampo, qui ont mené l’accusation contre neuf anciens dirigeants de la dictature lors d'un procès qui s'est déroulé d'avril à décembre 1985. Aujourd'hui, le réalisateur Ulises de la Orden remonte à la source. Son documentaire, El juicio [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
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, présenté dans la section Forum de la 73e édition de la Berlinale, est un montage émouvant et soigneusement élaboré de documents d'archives.

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Le réalisateur a réparti les 530 heures d'images en différents thèmes, divisés en 18 chapitres, parmi lesquels on trouve la disparition de milliers de citoyens, jetés à la mer à partir d'avions, le viol de femmes, les incidents internationaux avec les Nations unies et d'autres pays, et les centres de détention clandestins de l'Escuela Superior de Mecánica de la Armada (ESMA) qui pratiquait la torture. Et même après la dictature, la question de l’identité des membres d’un groupe subversif et de la protection des citoyens par l’armée sont toujours au cœur des débats.

C’est ce que s’efforce de démontrer Strassera et Ocampo. Ce régime ne s’est pas seulement rendu coupable de crimes contre l’humanité, mais il a également privé des milliers de gens de ce que Jorge Rafael Videla, Emilio Eduardo Massera, Roberto Eduardo Viola, Armando Lambruschini, Orlando Ramón Agosti, Omar Graffigna, Leopoldo Galtieri, Jorge Anaya et Basilio Lami Dozo ont publiquement reçu aujourd’hui, à savoir un procès équitable, des jurés pour entendre leur cause et une équipe d’avocats pour les défendre.

Comme dans les décennies précédentes, en particulier lors des procès nazis, certains schémas se répètent. Les accusés refusent l’autorité du tribunal. Ils se sentent discriminés. Eux n’ont donné aucun ordre. Et puis, il y a les petits sourires narquois, ces rictus que les jurés ne cessent de braver, allant jusqu’à menacer de demander l’exclusion des accusés de la salle d'audience.

Mais M. de la Orden ne laisse pas les coupables voler la vedette à l’histoire. Il s’intéresse davantage aux victimes, aux témoins et aux familles. Le film est là pour raconter leur histoire, leurs souvenirs, et peu à peu il révèle des abus de pouvoir, la peur de ses concitoyens, et un mépris général de la vie. Le fait que l’équipe de tournage sur place ait filmé la majorité des témoins de dos, apercevant de temps en temps un visage bouleversé ou en pleurs, confère un puissant anonymat aux témoignages. Ce ne sont peut-être que quelques histoires parmi tant d’autres, mais elles représentent les opprimés et les disparus.

En plus d’entrecouper ces images avec les airs suffisants de la défense et les regards parfois perplexes des procureurs, El juicio comporte aussi des moments de désordre dans la salle : les gens crient, huent, applaudissent ou quittent la salle d'audience. Beaucoup de choses ont été dites sur les procès des nazis, sur la manière dont les témoins avaient été ridiculisés ou s’étaient effondrés devant leurs oppresseurs. Ici, il semblerait que les gens cherchent à obtenir la justice et à connaître les responsables. C’est certainement parce que la cour est remplie de victimes du régime, plutôt que de ses responsables ou de ses partisans. Mais le fait que les juges aient emporté les enregistrements à Oslo en 1988 pour les mettre en lieu sûr pendant les émeutes montre la fragilité de ces grands événements historiques.

Nunca más, plus jamais en français, était les mots que scandaient le peuple. Pour l’Argentine, cela a pour l’instant fonctionné. Le pays célèbre 40 ans de démocratie cette année. C’est un cadeau, on le voit aujourd’hui, qui peut être aussi fragile que le témoignage historique.

El juicio est une production argentine, norvégienne, française et italienne de Polo Sur Cine, La Sarraz Pictures Srl, Les Films d'Ici et Dag Hoel.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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