Critique : Femme
par David Katz
- BERLINALE 2023 : Dans ce premier film enthousiasmant par Sam H. Freeman and Ng Choon Ping, un artiste de scène drag s’engage dans une danse de séduction et de mort avec un dealer dans le placard

Dans Femme [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Sam H. Freeman, Ng Choon P…
fiche film], qui se concentre sur la sous-culture drague, la notion mouvante d'identité présente dans cet univers s'étend à la forme même du récit. Inversant le mouvement de la scène d’ouverture, où une certaine Aphrodite Banks (l'alter ego drag du personnage principal, Jules, joué par Nathan Stewart-Jarrett) se pavane vaillamment sur scène, prête à interpréter un monologue acerbe, l'intrigue se développe dans le sens d'une négation de cette expressivité queer, ou d'un retour dans le placard, pour utiliser un terme chargé. Délaissant peu à peu les performances cabaret solo, ou leurs antécédents vaudevillesques, le film se mue en une pièce de chambre où ne cesse de monter la pression entre deux personnages masculins principaux et où plane lourdement un sentiment de menace psychosexuelle.
Ce premier long-métrage coréalisé par les Britanniques Sam H. Freeman et Ng Choon Ping a été un des titres les plus appréciés de la section Panorama de la Berlinale. C'est un film qui part d'un milieu désormais familier et entré dans la culture grand public, perdant peut-être du même coup un peu de sa pointe d'avant-gardisme underground (celui de la scène drag, popularisée par l’émission RuPaul’s Drag Race), et le place en contraste avec une expression plus "mâle" et intimidante de l'identité queer. Les réalisateurs parviennent aussi à trouver un excellent point d'équilibre qui fait que le film semble à chaque instant sur le point de basculer (sans jamais vraiment tomber) de son étiquette potentielle de "film dramatique" dans le thriller ou sur le terrain du récit à suspense, ce qui renvoie à une veine sombre, peu encline au réalisme, plus pinterienne, du cinéma et du théâtre britannique.
Tandis que l'euphorie de la performance retombe, Jules (toujours dans son costume d’Aphrodite) va au tabac s'acheter des cigarettes. Là, il se fait agresser par une bande de voyous menée par Preston (George McKay de 1917 [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], bientôt dans The Beast), Jules ayant mentionné qu'il l'avait vu rôder devant le night-club avant le spectacle, en plongeant amoureusement son regard dans celui de Preston. Ce dernier, couvert de tatouages trahissant un séjour en prison, est décrit plus tard, par un autre personnage, comme un "bouledogue qu'on a laissé tomber sur la tête pas mal de fois". Sa propension à la violence fait de plus en plus l'effet d'un bouclier de protection détournant l'attention de sa véritable orientation sexuelle.
Bond en avant de trois mois. Jules a renoncé à sa carrière d'artiste de scène, qu'il associe désormais trop aux agressions homophobes dont il a été victime, cette fois-là et d'autres fois avant – un détail qu'on apprend de son petit ami Toby (John McCrae). Un jour qu'il rôde dans un sauna moite, baigné dans un éclairage en clair-obscur (ce qui souligne encore davantage la distance qu'il a prise par rapport à des espaces queer plus accueillants où règne la camaraderie), Jules tombe sur un type qui n'est nul autre que Preston, qui ne reconnaît pas son ancienne victime sans tout son maquillage. Ils commencent en tâtonnant un jeu de séduction fait de sexe brutal et clandestin et, pour Jules, d'un débat intérieur pour savoir s'il veut se venger ou pas, bien que ce lien nouveau remette en question de manière productive son appréhension de la fluidité du genre masculin.
Si on est porté à louer la dignité parfaite de Femme en son point médiant, ce n'est pas innocent : entre ce moment et celui où le film arrive à son point culminant, le renversement des rôles et le sentiment que Preston va recevoir la leçon qu'il mérite se sont mis à dégager quelque chose de schématique, du moins jusqu’à la coda, brillante, organisée autour d'un seul accessoire vestimentaire qui a acquis un poids de plus en plus grand tout au long du récit. Le fait de mettre en avant de simples accessoires, plutôt que d'employer des moyens cinématographiques natifs, est au cœur de la réussite de Freeman et Choon Ping (qui, de fait, s'est fait connaître d'abord dans le milieu du théâtre) : Femme semble venir du minimalisme d’une performance théâtrale sur fond noir sans aucun décor, dans le meilleur sens du terme, tandis que McKay et Stewart-Jarrett luttent et se traquent, dans une intimité haletante, ce que le grand écran amplifie à la perfection.
Femme a été produit par Agile Films avec le soutien de BBC Film. Les ventes internationales du film sont gérées par Anton.
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.