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VISIONS DU RÉEL 2023

Critique : Les Oubliés de la Belle Étoile

par 

- Clémence Davigo présente un aperçu terrifiant des abus commis sur des petits garçons au sein de l’Église catholique en France et nous met dans la peau de trois de ces êtres humains brisés à jamais

Critique : Les Oubliés de la Belle Étoile

Trois vieils hommes se réunissent dans une maison de campagne idyllique près d’Albertville, en Savoie. Michel a préparé un bon repas et ils sont ensemble à table, par une journée ensoleillée. On va bientôt apprendre que dans les années 1950 et 1960, ils ont été placés au centre de "redressement" catholique La Belle Étoile, à Mercury, qui dépend de la DDASS (Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales), établissement géré par un abbé où ils ont subi des abus terrifiants. Avec d’autres victimes, ils se retrouvent chaque année à cet endroit. Pour Les Oubliés de la Belle Étoile, le deuxième long-métrage documentaire de Clémence Davigo, ils ont accepté de s'exprimer devant une caméra. Ce film a été projeté à Visions du Réel.

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L’intimité et l’empathie avec laquelle Davigo traite ses sujets lui permet d'en brosser des portraits très méticuleux, ce qui aide le spectateur non seulement à les bien les voir tels qu'ils sont aujourd’hui, mais aussi à imaginer comment ils étaient quand ils étaient petits. On peut pratiquement voir les enfants qu'ils étaient avant même de regarder, avec eux, un vieux film amateur muet réalisé lors d’une fête en 1970. On y voit l’homme qui s’occupe du centre, l’Abbé Garin, "rouge comme une betterave à cause du vin et du sang", comme le décrit Michel. On voit aussi qu'il reçoit une décoration, tandis que les garçons courent autour de lui, des cernes noirs sous les yeux. Ils ont été réveillés en pleine nuit, et on leur a ordonné de sortir et courir. Pourquoi ? Personne ne le sait. Ces garçons n’avaient pas besoin d’avoir commis quelque délit que ce soit pour se retrouver dans ce centre de redressement : il s'agissait d'orphelins, de pupilles de la nation et d'enfants envoyés là par un juge pour mineurs. "Ils auraient pu nous parler", dit l’un deux. Au lieu de ça, ils ont subi chaque jour des abus violents qui ont laissé des traces émotionnelles, physiques et mentales indélébiles.

Dédé a 78 ans. C'est un bel homme, grand, avec les pieds sur terre, qui a passé 35 ans en prison. Il a appris à voler à Mercury, car ils avaient toujours faim, ce qui est aussi la raison pour laquelle il n’arrivait pas à étudier, ce qui a rendu impossible toute entrée dans la vie active.

Michel a 69 ans et il adore cuisiner. "Ils nous traitaient de bâtards, mais voyez comme on est bien maintenant !", dit-il en référence au beau repas qu'il a préparé, ce qui est probablement une des phrases les plus tristes du film. Il porte avec lui une grosse charge de honte, par exemple pour avoir été forcé à courir nu dans la neige tandis qu'on le fouettait.

Daniel est un peu plus jeune, mais son âge n’est pas révélé. Étant le plus petit et le plus frêle des garçons, c'est aussi lui qui a le plus souffert. Il a notamment subi, sans nul doute comme beaucoup d’autres, des abus sexuels de la part d'un prêtre qui est encore en activité. Daniel est un homme doux et sensible. Il dit que les seuls moments où il arrive à échapper à sa souffrance, c'est quand il court dans des marathons. Il montre une boîte pleine de médailles à Dédé.

Le trio, et plusieurs autres victimes, vont rencontrer "l'unité de soutien" du diocèse local, constitué d'un couple marié de psychologues qui font preuve d'énormément d’empathie et de compréhension par rapport à ce qu’ils ont vécu, mais Dédé, Michel et Daniel insistent pour parler à l'évêque, car ils demandent qu'on reconnaisse les crimes dont ils ont été victimes et une forme de réparation. Ils rencontreront l'évêque, mais obtiendront-ils ce qu'ils souhaitent ?

Aussi difficile que leur sujet puisse être et quelle que soit la manière dont les choses se passent, les documentaires tendent à se conclure sur une lueur d’espoir, mais ce film ne fait qu'augmenter la tristesse, la colère et la désillusion du spectateur, particulièrement si celui-là espérait vaguement que l'Église assume la responsabilité de ses crimes (des cas comme celui-ci sont survenus en Autriche, en Irlande et aux États-Unis, mais en France, étrangement, il reste plus difficile pour les victimes d'avoir gain de cause). Ainsi, Davigo trompe nos attentes et transforme la lueur d’espoir qu'on pensait entrevoir en un moment amer, mais authentique, de sincérité et d’humanité.

Les Oubliés de la Belle Étoile a été produit par la société française Alter Ego Production. Les ventes internationales du film sont gérées par Andana Films.

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(Traduit de l'anglais)

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