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Critique : Beau Is Afraid
par David Katz
- Joaquin Phoenix joue un fils à maman angoissé dans ce film sombre et souvent hilarant d'Ari Aster, le réalisateur de Misommar et Hereditary

Eussé-je rédigé ma critique de Beau Is Afraid [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] quelques heures seulement après être sorti de la séance, elle aurait été empreinte d'une légère déception, certes contrebalancée par de la gratitude pour les moments d’émerveillement que le film offre par intermittence. Près d’une demi-semaine plus tard, je suis tenté d'être plus généreux : comme les produits pharmaceutiques expérimentaux que notre héros Beau (Joaquin Phoenix) engloutit tout au long de ce vaste récit qui progresse à grandes enjambées, ce travail requiert de la patience pour qu'on en sente l'effet, et pour que son sens profond se dégage – en somme, il se peut qu'il faille taper du pied nerveusement un certain temps avant qu'il ne se mette à fonctionner. Il faut toujours bien lire les choses écrites en petit sur l’étiquette.
Cette "comédie cauchemar flapie" de 179 minutes, pour reprendre les mots de son auteur Ari Aster (à qui on doit deux récents films d'horreur canoniques : Hérédité et Midsommar), charme, dégoûte et submerge en alternance au fil des épisodes de l'intrigue qui se succèdent. On y trouve des animations cucu en carton découpé, des gros plans sur des organes génitaux géants qui laissent bouche bée, et le tout se termine dans un environnement en images de synthèse qui est la manifestation littérale d'une sorte de "vallée de l'étrange". Ce titre, dont la société de distribution américaine A24, jeune mais déjà parvenue (son statut dans l'industrie ayant été largement consolidé par les Oscars du meilleur film triomphalement remportés par Moonlight puis Everything Everywhere All at Once), a déclaré qu'il s'agissait à ce jour de sa production doté du plus gros budget, arrive aujourd’hui sur les écrans de plusieurs pays européens, en tant que coproduction avec le Canada et le fonds de capital-risque finlandais IPR.VC (lire notre article).
The Sopranos a montré que retracer des séances de psychanalyse freudienne à l'écran peut être un dispositif dramaturgique puissant, au lieu de servir d'annotation pour éclaircir sans détours un propos sous-jacent. Beau Is Afraid évoque une séquence de rêve issue des Sopranos d’une durée si épique qu'on en aurait fait un long-métrage, avec au début et à la fin des monologues à deux entre Beau et son psychanalyste (Stephen McKinley Henderson) amenant les angoisses œdipiennes et des créatures subconscientes du premier à s'étaler au grand jour, et illustrer de manière littérale le concept de projection. Beau, loser d'âge moyen débraillé et bedonnant encore dans le giron de sa mère Mona, magnat des affaires et membre de l'élite (incarnée par un pilier de Broadway qu'on n'aperçoit qu'occasionnellement au cinéma, Patti LuPone), vit dans une stupeur dépressive, et dans une studette située au-dessus d’un sex-shop (appelée “Ejectus Erectus”, pour ceux qui se demanderaient encore, à ce stade, si le petit garçon de 12 ans à l’intérieur d'Aster ne mériterait pas d'être cité au générique comme coréalisateur).
Il n’y a pas de marqueurs géographiques, mais on peut supposer qu’on observe là une Amérique urbaine de l'intérieur, où une forêt sans fin s'étire, comme dans l'attente, des deux côtés de l'autoroute qui connecte la banlieue résidentielle arborée d'un centre-ville délabré lui-même jonché de vagabonds homicides qui n'hésiteront pas à vous poignarder et vous lancent des regards noirs en marmonnant dans leur barbe, ou vous jettent hors de chez vous pour y donner toute la nuit une rave party chaotique, mais l’intrigue est enclenchée par la décision de Mona de libérer symboliquement Beau de ce bourbier : en effet, mère et fils sont censés se retrouver dans la maison où Beau a grandi pour l'anniversaire de la mort mystérieuse de son père.
Des éléments d’exposition supplémentaires sur cette histoire de fond sont fournis qui constituent un des plus grosses déceptions causées par ce film par rapport à Hérédité, qui jouait sur le motif de la lignée familiale maudite de manière beaucoup plus convaincante. Tristement, Aster régurgite une histoire de famille dont beaucoup de critiques supposent qu'elle est une réfraction autobiographique, qui prenait la forme d'une tragédie dans Hérédité, et maintenant celle d'une farce. La séquence conclusive du premier film, ornée des cuivres à vous serrer la poitrine des musiques composées par Colin Stetson, était immensément puissante, tambourinante de significations occultes. Ici, Aster livre un dénouement plus pathétique, mais la force trompeuse de l’odyssée de Beau pour regagner un utérus symbolique finit par se faire sentir petit à petit.
Beau Is Afraid a été coproduit par les États-Unis, le Canada et la Finlande, nommément par A24, Access Entertainment, IPR.VC et Square Peg. Les droits internationaux du film sont gérés par A24.
(Traduit de l'anglais)
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