Critique : Vicky
par Camillo De Marco
- Ce documentaire de Sasha King sur le scandale CervicalCheck met en évidence la misogynie encore rampante dans la société et l’État à travers des interviews, des images d’archives et des selfies vidéo

L’affaire a été surnommée le "scandale CervicalCheck" (cervical check : frottis, ndlt.). Elle a éclaté en Irlande en 2018 : 221 femmes se sont retrouvées atteintes de cancers du col de l'utérus après s'être soumises à des tests de détection annoncés comme négatifs et dont les résultats, une fois réexaminés, ont été délibérément tenus cachés pendant des années.
Vicky, réalisé par la productrice et réalisatrice Sasha King, retrace toute l’histoire en se concentrant sur le personnage qui a fait naître l'affaire, Vicky Phelan. Le film a été présenté le 3 mai, en première nord-américaine, à Hot Docs, dans le cadre de l’initiative The Changing Face Of Europe de l'EFP-European Film Promotion. Vicky a un gros potentiel pour être distribué sur le marché international, surtout celui des chaînes télévisées, spécialisées et généralistes.
Vicky Phelan, 43 ans, résidant à Annacotty, dans le comté de Limerick, mère de deux enfants, a fait en 2011 un frottis où n'a été décelée aucune anomalie. En 2014, on lui a diagnostiqué un cancer. La même année, un réexamen du test de 2011 a démontré qu’il n’était pas exact. Après des soins palliatifs, en janvier 2018, Vicky a appris qu'elle était en phase terminale et qu'il lui restait entre six et douze mois à vivre.
"J’aime la mer, je veux que mes cendres soient dispersées ici", dit Vicky dans un moment désenchanté du film où elle se promène sur une plage, face à l’océan Atlantique. Viggie n’est cependant pas une femme qui s’abandonne à la déprime : elle a une famille dont elle doit s’occuper et ne veut pas mourir aussi vite. Et surtout, elle veut la vérité, avec à l'esprit toutes les femmes qui pourraient être dans la même situation qu'elle. Le film de Sasha King, qui trouve le parfait équilibre entre l’aspect émotionnel et humain et la documentation précise des faits, nous montre comment tout cela a pu arriver. À l’origine, il y a eu la décision qu'ont prise en 2008 les responsables de la santé publique d’externaliser les tests, et de les faire faire aux États-Unis. Nous sommes en pleine récession et pour réduire les coûts à un tiers du prix, on confie le destin de femmes irlandaises à des laboratoires américains dans le seul objectif est le profit. Vicky décide de prendre le contrôle de la situation : elle refuse la chimiothérapie et cherche à obtenir du pembrolizumab pour freiner la progression de la tumeur. Elle s'adresse à l’avocat Cian O’Carroll, spécialisé dans la négligence médicale, et porte devant la Haute Cour de Justice un laboratoire américain qui a servi de prestataire au programme national de dépistage CervicalCheck. Un arrangement est conclu pour 2,5 millions d’euros, sans aucune reconnaissance de responsabilité, et elle est déboutée de sa plainte contre le Health Service Executive. La bataille ne fait que commencer. Elle va donner lieu à des démissions, des renouvellements de personnel, des changements de standards sanitaires et de protocoles. Le 22 octobre 2018, l’État présente ses excuses aux 221 femmes et familles détruites par cette négligence. "Nous demandons pardon à nos femmes, nos filles, nos soeurs et nos mères. Cet échec aura brisé le coeur de tout le pays", dit le chef du gouvernement Leo Varadkar.
L'impression est que toute l'affaire n'a pas seulement découlé de la nécessité d’économiser de l’argent, mais qu'on est ici devant un pays qui n’a pas encore appris à respecter le corps féminin, féminin, en particulier pour tout ce qui concerne la reproduction, et que la misogynie reste rampante dans le corps social comme dans l'appareil bureaucratique. À travers un montage serré, la réalisatrice présente des témoignages de gens illustres, comme celui de l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson, des images de journaux télévisés et d'émissions de radio, mais surtout les brèves vidéos selfies où l’héroïne se défoule sur son téléphone dans les moments les plus difficiles. Ce sont ces dernières images qui sont les plus intenses sur le plan émotionnel. Parallèlement, on assiste à l’ascension du personnage public de Vicky Phelan : elle reçoit des prix, fait la une des journaux et magazines, apparaît à la télévision, donne des discours où elle plaisante sur la prononciation du mot vagin, obtient des doctorats honoris causa dans les universités. Elle a même été nommée Tatler Woman of the Year et inscrite parmi les "100 femmes" de la BBC. "J’aurais préféré rester dans l’anonymat, être une mère normale".
Vicky a été produit par Princess Pictures, qui en assure aussi les ventes internationales. En Irlande, le film est sorti en octobre dernier, distribué par Volta Pictures.
(Traduit de l'italien)
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