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HOT DOCS 2023

Critique : All You See

par 

- La réalisatrice iranienne-hollandaise Niki Padidar propose un essai documentaire émouvant et visuellement élégant sur l’exil et l’altérité du point de vue de celui qui est considéré comme l'Autre

Critique : All You See

Toute recherche en ligne sur ce que ressent un immigré aux Pays-Bas mène à une longue liste de témoignages personnels confirmant combien ce pays, en tête des classements de tolérance sur la plupart des autres sujets, est dur pour les étrangers. La réalisatrice irano-hollandaise Niki Padidar ne cache pas ses sentiments sombres sur son deuxième pays dans le documentaire douloureusement personnel All You See, qui a fait l'ouverture du dernier IDFA et joue en ce moment à Hot Docs dans le cadre du programme The Changing Face of Europe de l'EFP-European Film Promotion.

Padidar habite aux Pays-Bas depuis l'âge de sept ans, quand ses parents ont décidé de quitter l'Iran pour Amsterdam, pour fuir la guerre. Elle avait abordé le sujet de l'alterité dans le court-métrage Ninnoc (2015), sur une fillette de onze ans qui croit que ses camarades de classe la voient comme différente. Dans All You See, Padidar ajoute d'autres histoires à sa propre expérience, ce qui lui permet de faire ressortir des schémas de comportement et de pensée profondément ancrés dans la mentalité coloniale blanche.

Quatre personnages féminins d'âges et milieux différents décrivent tous les moments où elles se sont senties considérées comme autres, et très seules. Pour la petite Sophia, ses amis lui manquent, car elle vient d'arriver du Royaume-Uni avec sa mère. Elle est longtemps la nouvelle, du moins  jusqu'à ce qu'elle apprenne le néerlandais. La jeune Hanna, Ukrainienne, le parle, mais avec un accent, alors elle essaie d'apprendre, en regardant des films, comment se fondre dans la masse des locaux et se défaire de son allure de touriste. Khadija, plus âgée, a quitté la Somalie pour les Pays-Bas il y a 27 ans et parle parfaitement néerlandais, mais la couleur de sa peau lui vaut des commentaires désobligeants chaque jour que dieu fait, et à l'hôpital où elle travaille comme infirmière, les gens la prennent pour une femme de ménage. Elle se rend compte que dans une société où les gens prennent six mois de congés après une rupture où la mort d'un animal domestique, raconter que la moitié de sa famille a été décapitée sous ses yeux est trop choquant et tout simplement déplacé. Ce n'est pas que la couleur de sa peau, c'est aussi sa capacité à endurer tout cela qui fait qu'elle est à des lieues des gens qui l'entourent. La quatrième femme du groupe est Niki Padidar elle-même, qui reste cachée derrière sa caméra mais intervient en voix off et se trouve représentée à l'écran par une petite fille silencieuse. D'une certaine manière, elles représentent à elles deux les différentes phases de son exil.

Des interviews alternent avec des épisodes-performances mis en scène de manière théâtrale : des moments contemplatifs où les héroïnes sont dans leurs espaces intimes, isolées du monde. Ces lieux constituent des refuges, à l'abri de l'hostilité qui existe au-dehors, mais ils évoquent aussi des cellules de prison vides et silencieuses, où les questions cruciales résonnent clairement dans leurs têtes. Qu'est-ce que ça fait, d'habiter dans un pays sans arriver à se connecter avec sa culture ? Ou d'être regardée sans être vue ? Padidar se voit comme une personne d'Amsterdam, mais son environnement ne lui permet pas de se sentir pleinement hollandaise. Son film, lui, est officiellement hollandais, et (ironie du sort) il coucourait pour le prix du meilleur film hollandais à l'IDFA.

Pour l'industrie du film hollandaise et les financements qu'elle offre, un film qui met en avant les défauts nationaux se justifie probablement comme une invitation à parler, analyser et amorcer un changement, mais à l'ère post-coloniale, soutenir le débat public afin de soulager la tension psychologique tout en conservant la même vieille attitude condescendante est aussi une position typiquement coloniale. Au moins, là, on y va sans les gants.

All You See a été produit par mint film office (Pays-Bas). Les ventes internationales du film sont gérées par Filmotor.

(Traduit de l'anglais)

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