Critique : Una jauría llamada Ernesto
par Vladan Petkovic
- Everardo González revient avec un autre documentaire sur les gangs et les cartels, mais se concentre cette fois sur des enfants et use d’une approche troublante, immersive et originale

Everardo González est surtout connu pour Devil's Freedom (2017) et d’autres films sur les conséquences brutales de la guerre des gangs et des cartels en Amérique latine. Dans son nouveau documentaire, Una jauría llamada Ernesto, qui vient de faire sa première mondiale à Hot Docs, il couvre un terrain similaire, mais imagine une approche qui parvient à être à la fois dérangeante et Immersive.
L'approche en question consiste à employer un dispositif de caméra embarquée permettant d'attacher des iPhones sur le dos des personnages, un groupe de gangsters pré-adolescents de Mexico qui s’appellent collectivement Ernesto. L'utilisation de ce procédé signifie qu’on les suit de très près, mais aussi qu’on ne voit que l'arrière de leur tête, que la caméra saute de haut en bas tandis qu’ils évoluent, et qu'on ne voit nettement que ce qui est proche, de sorte que tout ce qui est devant eux reste en grande partie brouillé. Avec un tel système, on les reconnaît difficilement entre eux, mais dans un sens, c'est bien l’idée : leurs témoignages et leurs actions se fondent dans une expérience collective cahotante et inconfortable.
Ce point de vue renvoie inévitablement à jeux vidéo de tir à la première personne, qui ont peut-être aussi inspiré Gus van Sant pour Elephant. Sauf qu'au Mexique, les enfants n’ont pas besoin de jeux vidéo ou de films violents comme motivation pour choisir une vie de crime (non que cette connexion ait jamais été prouvée) : ils sont cernés par cette réalité tous les jours. On peut identifier trois individus différents, car ils ont des tatouages dans le cou, des lunettes et des coupes de cheveux qui permet de les distinguer.
Leurs histoires, racontées en voix off, ne sont pas nouvelles, certes, mais certaines des choses qui se passent devant nos yeux n'en sont pas moins choquantes. Gonzalez insère leur parcours dans une structure fluide et claire. D’abord vient la motivation : à l'âge de 9 ou 10 ans, ils voient dans la rue des choses qu'ils ne peuvent expliquer, ce qui les rend curieux. Ils explorent et se rendent vite compte qu’il y a des gens qui sont riches et respectés, à l'inverse de leurs parents, tous pauvres, et ça leur paraît enivrant.
Ils entrent vite dans ce monde violent comme des débutants qui ont une chance de monter dans les rangs. D’abord, ils vont acheter une arme à feu. Souvent, celles-ci sont vendus par la police, et leur origine est le gouvernement américain (car une grande majorité des armes au Mexique viennent de leur voisin du Nord). Quand ils entrent dans l’action, ils découvrent l’adrénaline et le sentiment de puissance qui vient avec le fait de tuer un autre être humain. Très vite, ça devient une nouvelle normalité, et deviennent froids et dépourvus d’émotions. Pourtant, tous sont encore des enfants, donc des êtres pas complètement développés émotionnellement, ce qui va forcément causer des problèmes psychologiques graves, même pour les rares qui parviennent à sortir du cercle vicieux.
Au début, le film constitue une expérience assez frustrante. On continue d’attendre que le dispositif du film, dont on croit qu'il ne constitue qu'une introduction inventive, laisse place à une forme documentaire plus classique, mais reste obstinément inchangé. Cependant, le spectateur est vite pleinement immergé dans cet univers, et cette approche le maintient en état d’alerte. L’histoire est rendue cohérente et excitante grâce au travail de montage indubitablement très complexe de Paloma Lopez Carrillo, qui a compilé les différentes pièces pour en faire de longs segments. Entre ces derniers, l’écran reste noir et seul reste le design sonore – à un moment, après une fusillade, on entend des cris et des sirènes de police.
La musique électronique du film, cinétique et riche en percussions, pousse l'ensemble du récit vers l'avant. Elle a été composée par trois jeunes du quartier de Tepito à Mexico, Haxah, Konk et Andrés Sanchez, qui sont aussi ceux qui ont trouvé les sujets du film et qui les ont équipés de caméras embarquées, même si au générique, on lit le nom de la cheffe opératrice aguerrie Maria Secco.
Una jauría llamada Ernesto a été coproduit par les sociétés mexicaines Animal del luz films et Artegios, Bord Cadre Films (Suisse), Sovereign Films (Royaume-Uni) et Films Boutique Production (France). Les ventes internationales du film sont gérées par Films Boutique.
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.